Chapitre 4 : Le Paiement de la Lettre de Change

L'aboutissement normal de la vie d'une lettre de change est son paiement à l'échéance. Ce chapitre examine les modalités de ce paiement et, de manière cruciale, les conséquences juridiques et les actions possibles en cas de défaut de paiement par le tiré.

Section 1 : Le Paiement de la Lettre de Change

Le paiement est dit "quérable", ce qui signifie que le porteur doit se présenter pour réclamer son dû. Certaines formalités doivent être respectées pour que le paiement soit valable et libératoire.

1. Les Formalités du Paiement

a. Présentation au Paiement

  • Obligation du Porteur : Le dernier porteur légitime a l'obligation de présenter la lettre de change au paiement.
  • Lieu de Présentation : Au lieu indiqué sur le titre, ou à défaut, au domicile du tiré (ou au lieu de domiciliation si une clause le prévoit).
  • Moment de Présentation : La présentation doit être effectuée précisément le jour où la lettre est payable (jour de l'échéance), ou l'un des deux jours ouvrables qui suivent.

2. Les Effets du Paiement

a. Paiement Libératoire (Art. L.511-28)

Le débiteur (généralement le tiré accepteur) qui paie à l'échéance est valablement libéré de son obligation cambiaire.

Exception : Fraude ou Faute Lourde

La libération n'est pas valable si celui qui paie a commis une fraude (ex: paiement en sachant qu'il y a opposition valable) ou une faute lourde (ex: ne pas vérifier l'identité du porteur ou la régularité apparente de la chaîne d'endossements).

b. Remise du Titre et Quittance

  • Exigence du Payeur : Celui qui paie peut exiger que la lettre de change lui soit remise par le porteur.
  • Mention "Acquittée" : Il peut également exiger que le porteur appose sur le titre une mention indiquant que le paiement a été reçu (une quittance).
  • Présomption de Paiement : La simple remise du titre au débiteur (tiré) établit une présomption irréfragable (qui ne peut être renversée) de paiement. Il est donc crucial pour le porteur de ne remettre le titre qu'après avoir reçu le paiement.

Section 2 : Le Défaut de Paiement

Le refus de payer la lettre de change à l'échéance par le tiré ouvre une phase contentieuse pour le porteur. Pour préserver ses droits contre les autres signataires (tireur, endosseurs, avalistes), le porteur doit agir rapidement et respecter des procédures strictes.

1. Le Protêt Faute de Paiement

a. Constatation Officielle du Refus

Le défaut de paiement doit être constaté par un acte authentique dressé par un huissier de justice ou un notaire : le protêt faute de paiement.

  • Obligation : Le protêt est, en principe, indispensable pour pouvoir exercer les recours cambiaires contre les garants (tireur, endosseurs, avalistes).
  • Dispense : Il n'est pas nécessaire si la lettre de change contient la clause "sans protêt", "sans frais" ou "retour sans frais". La simple présentation au paiement suffit alors pour exercer les recours.
  • Délai pour Dresser Protêt : Selon l'article L. 511-42 cité dans le document, la présentation et le protêt sont valablement établis dans les dix jours ouvrables qui suivent l'échéance[cite: 287]. *(Note: ce délai mentionné peut différer de certaines pratiques ou textes antérieurs plus restrictifs, il faut se référer au texte applicable lors de l'examen)*.

b. Avis du Défaut de Paiement

Après avoir fait dresser protêt (ou après la présentation en cas de dispense), le porteur a l'obligation de donner avis du défaut de paiement à son propre endosseur (celui qui lui a remis le titre) dans les quatre jours ouvrables qui suivent[cite: 288]. Chaque endosseur avisé doit ensuite avertir le sien, et ainsi de suite, pour remonter la chaîne des garants.

2. La Mise en Œuvre des Actions Cambiaires

Si le porteur a respecté les délais (présentation, protêt si nécessaire), il peut agir en paiement contre les différents signataires de la lettre.

a. La Solidarité Cambiaire (Art. L.511-44)

C'est une garantie essentielle pour le porteur.

  • Principe : Tous ceux qui ont tiré, accepté, endossé ou avalisé une lettre de change sont solidairement tenus envers le porteur.
  • Conséquence : Le porteur peut réclamer le paiement de la totalité de la somme due (montant de la lettre + frais de protêt + intérêts) à n'importe lequel des signataires de son choix, sans devoir suivre un ordre précis ni diviser ses poursuites.

b. Les Délais de Prescription des Actions Cambiaires

Le droit d'agir en justice sur le fondement cambiaire est enfermé dans des délais stricts :

  • Action du porteur contre le tiré accepteur : 3 ans à compter de la date d'échéance.
  • Action du porteur contre le tireur et les endosseurs : 1 an à compter de la date du protêt (ou de l'échéance en cas de clause "sans frais").
  • Actions des endosseurs les uns contre les autres et contre le tireur (actions récursoires après avoir payé) : 6 mois à compter du jour où l'endosseur a payé ou du jour où il a été lui-même assigné en justice.

c. Le Porteur Négligent et la Déchéance

Porteur Négligent

Est considéré comme négligent le porteur qui n'a pas respecté les délais prescrits pour :

  • La présentation au paiement (jour de l'échéance ou 2 jours ouvrables suivants).
  • L'établissement du protêt faute de paiement (si requis et dans le délai prévu).
Déchéance des Recours Cambiaires

La sanction de la négligence est la déchéance : le porteur perd ses recours fondés sur le droit cambiaire contre les endosseurs, le tireur (sauf si celui-ci n'a pas fait provision, auquel cas il reste tenu) et les avalistes de ceux-ci.

Important : La déchéance ne s'applique pas au recours contre le tiré accepteur, qui reste tenu pendant 3 ans à compter de l'échéance.

3. Le Maintien des Actions Fondées sur le Rapport Fondamental

a. Absence de Novation

La création et la remise d'une lettre de change pour payer une dette préexistante n'entraînent pas, sauf convention expresse contraire, novation. Cela signifie que la dette initiale (le rapport fondamental, ex: contrat de vente) n'est pas éteinte par la simple remise de l'effet.

b. Persistance du Recours Fondamental

Même si le porteur est négligent et a perdu ses recours cambiaires (sauf contre l'accepteur), il conserve toujours la possibilité d'agir contre son propre débiteur sur le terrain du rapport fondamental.

Exemple : Un vendeur (porteur) reçoit une LDC de son acheteur (tireur). Le vendeur est négligent et perd ses recours cambiaires contre l'acheteur-tireur. Il pourra toujours poursuivre l'acheteur en paiement du prix de vente sur la base du contrat de vente initial (dans la limite de la prescription applicable à ce contrat).

Points Clés du Chapitre 4

La phase de paiement est cruciale et nécessite rigueur :

Une bonne gestion de la phase de paiement et des éventuels incidents est essentielle pour le porteur afin de sécuriser le recouvrement de sa créance.