Chapitre 4 : Le Plan de Restructuration

Au cœur des procédures de Sauvegarde et de Redressement Judiciaire se trouve l'objectif d'élaborer et d'adopter un plan de restructuration (anciennement plan de continuation). Ce plan représente l'accord entre le débiteur et (tout ou partie de) ses créanciers, validé par le tribunal, pour réorganiser l'entreprise, apurer son passif et permettre la poursuite de l'activité[cite: 1119, 1120].

Ce chapitre détaille les étapes de sa préparation (consultation des créanciers, élaboration) et son issue (exécution ou inexécution)[cite: 1122].

A. La Préparation du Plan de Restructuration

La période d'observation ouverte par le jugement de sauvegarde ou de redressement est mise à profit pour évaluer la situation et négocier les termes du futur plan[cite: 1124].

1. La Consultation des Créanciers

Avant d'élaborer le plan définitif, les propositions de règlement du passif doivent être soumises aux créanciers[cite: 1126]. Deux méthodes coexistent : la consultation individuelle (régime de principe) et la consultation par classes de parties affectées (obligatoire pour les grandes entreprises ou en sauvegarde accélérée)[cite: 1127, 1128].

a. Consultation Hors Classes de Parties Affectées

  • Élaboration des Propositions : L'administrateur (ou le débiteur si pas d'administrateur) formule des propositions de règlement du passif (délais, remises...)[cite: 1130].
  • Communication : Ces propositions sont transmises au mandataire judiciaire, aux contrôleurs et aux représentants du personnel[cite: 1131].
  • Consultation Individuelle (Art. L. 626-5 C. com.) : Le mandataire judiciaire soumet les propositions à chaque créancier (ayant déclaré sa créance), généralement par lettre recommandée avec AR[cite: 1132, 1133].
  • Délai de Réponse : Le créancier a 30 jours pour répondre à compter de la réception[cite: 1133].
  • Acceptation Tacite : Le défaut de réponse dans le délai vaut acceptation des propositions de délais et remises. Attention : il vaut refus pour les propositions de conversion de créances en capital[cite: 1133].
  • Résultat : Le mandataire dresse un état des réponses (acceptations expresses ou tacites, refus)[cite: 1136]. Ces propositions acceptées ne s'imposeront que si le tribunal arrête le plan[cite: 1138, 1139].

b. Consultation Dans les Classes de Parties Affectées (Art. L. 626-29 et s. C. com.)

Obligatoire pour les entreprises dépassant certains seuils (ou en sauvegarde accélérée), cette méthode regroupe les créanciers et associés affectés par le plan en classes homogènes[cite: 1141].

  • Conditions de Constitution :
    • Comptes certifiés par CAC ou établis par expert-comptable[cite: 1141].
    • ET seuil de taille : ≥ 250 salariés OU ≥ 20 M€ CA HT [cite: 1142] (possibilité de dérogation par juge-commissaire [cite: 1143]).
    • OU procédure de sauvegarde accélérée[cite: 1144].
  • Parties Affectées : Créanciers dont les droits sont modifiés par le plan (délais, remises, conversion...) et membres de l'assemblée générale extraordinaire (associés/actionnaires) si leurs droits sont affectés[cite: 1146]. Seules ces parties votent[cite: 1147].
  • Composition des Classes (Art. L. 626-30) : Répartition par l'administrateur selon des critères objectifs formant une communauté d'intérêt économique suffisante (ex: créanciers publics, fournisseurs, banques, obligataires, associés...). Séparation des créanciers privilégiés et chirographaires[cite: 1149, 1150].
  • Fonctionnement :
    • Le débiteur (avec l'administrateur) soumet le projet de plan aux classes[cite: 1151].
    • Vote par chaque classe dans un délai de 20 à 30 jours[cite: 1152].
    • Majorité requise pour adoption par une classe : deux tiers (2/3) des voix des membres ayant exprimé un vote (calcul basé sur le montant des créances ou droits)[cite: 1168].
Note : En redressement judiciaire avec classes, les créanciers peuvent aussi proposer un projet de plan alternatif[cite: 1159].

2. L'Élaboration du Plan

Le plan est un document complexe qui doit intégrer plusieurs volets pour être accepté par le tribunal[cite: 1154].

a. Contenu du Plan (Art. L. 626-2 C. com.)

Le plan, proposé par le débiteur avec le concours de l'administrateur (sauf plan proposé par les créanciers en RJ avec classes), doit contenir[cite: 1155]:

  • Volet Économique : Détermine les perspectives de redressement (poursuite d'activité, état du marché, moyens de financement). Peut inclure une cession partielle ou l'arrêt de certaines activités[cite: 1156, 1157].
  • Volet Financier : Définit les modalités de règlement du passif (délais, remises éventuelles, conversions en capital) et les garanties offertes pour son exécution[cite: 1158]. L'objectif est l'apurement *intégral* du passif, mais échelonné (max 10 ans en principe, 15 ans pour agriculteurs).
  • Volet Social : Expose le niveau et les perspectives d'emploi, les conditions sociales envisagées. S'il prévoit des licenciements économiques, il doit justifier leur nécessité et décrire les mesures d'accompagnement[cite: 1158, 1159].

Le tribunal peut ordonner la poursuite de la période d'observation s'il estime que l'entreprise a les capacités de financement suffisantes (Art. L. 631-15 C. com.)[cite: 1160, 1161]. Une cession peut être ordonnée avant ou pendant le plan (Art. L. 631-15 C. com.)[cite: 1162, 1163].

b. Adoption et Arrêté du Plan

Adoption par les Créanciers :
  • Hors Classes : Les créanciers consultés individuellement acceptent (expressément ou tacitement) ou refusent les propositions[cite: 1133].
  • Avec Classes : Le plan est soumis au vote de chaque classe (majorité des 2/3 des voix exprimées requise par classe)[cite: 1167, 1168].
Arrêté par le Tribunal (Art. L. 626-1 C. com.) :

Une fois le plan négocié/voté, le tribunal décide de l'arrêter (le valider) ou non[cite: 1169].

  • Condition Générale : Existence d'une possibilité sérieuse pour l'entreprise d'être sauvegardée/redressée[cite: 1169].
  • Procédure Hors Classes : Le tribunal donne acte des délais/remises acceptés. Pour les créanciers refusant, le tribunal impose des délais uniformes (max 10 ans), avec des paliers de remboursement minimum (L. 626-18 C. com : 1er paiement max 1 an après, ≥5% du passif admis par an dès la 3e année, ≥10% dès la 6e - sauf agriculteurs)[cite: 1165, 1166].
  • Procédure Avec Classes (Art. L. 626-30-2, L. 626-31, L. 626-32 C. com.) :
    • Si toutes les classes adoptent le plan : Le tribunal l'arrête s'il assure les intérêts de tous et si personne n'est lésé par rapport à une liquidation[cite: 1171].
    • Si **certaines classes seulement** adoptent le plan : Le tribunal *peut* quand même l'arrêter ("application forcée inter-classes") si des conditions strictes sont remplies (vote positif d'une majorité de classes dont une de créanciers privilégiés, ou vote positif d'au moins une classe susceptible d'être payée en liquidation ; respect des priorités de paiement ; aucune classe ne reçoit plus que ce qu'elle doit ; etc.)[cite: 1172, 1173].
Effets de l'Arrêté du Plan :
  • Opposabilité : Le plan arrêté s'impose à tous (débiteur, créanciers - même ceux ayant refusé hors classes, ou appartenant à une classe ayant voté contre en cas d'application forcée)[cite: 1178].
  • Effet sur les Garants (Art. L. 626-11 C. com.) : Les cautions personnes physiques (et autres garants personnes physiques) peuvent se prévaloir des délais et remises accordés au débiteur principal dans le plan de sauvegarde ou de redressement[cite: 1174, 1175, 1176, 1177].
  • Nomination : Le jugement nomme un Commissaire à l'Exécution du Plan.
  • Voies de Recours : Le jugement est susceptible d'appel par les parties concernées[cite: 1178].
  • Échec d'Adoption : Si aucun plan n'est arrêté, conversion possible en redressement (si sauvegarde) ou en liquidation judiciaire (Art. L. 622-10 C. com.)[cite: 1179].

B. L'Issue du Plan de Restructuration

Une fois le plan arrêté par le tribunal, il entre en phase d'exécution, qui peut aboutir à un succès ou à un échec[cite: 1180].

1. L'Exécution du Plan

a. Exécution Conforme

  • Surveillance : Le Commissaire à l'Exécution du Plan veille au respect des engagements (paiement des dividendes aux créanciers)[cite: 1181].
  • Respect par le Débiteur : Le débiteur doit exécuter le plan tel qu'arrêté[cite: 1182].
  • Clôture : Si le plan est intégralement exécuté (passif apuré), le tribunal rend un jugement de clôture pour extinction du passif[cite: 1184].

b. Modification du Plan (Art. L. 626-26, L. 626-31-1 C. com.)

  • Modifications Mineures : A priori possibles par le chef d'entreprise seul (mais attention au paiement anticipé interdit, Art. L. 654-8, 2° C. com.)[cite: 1183, 1186, 1187].
  • Modifications Substantielles : Doivent être autorisées par le tribunal, à la demande du débiteur[cite: 1185].
  • Modification des Mesures Votées par Classes : Nécessite un nouvel accord des classes concernées[cite: 1188].

2. L'Inexécution du Plan

Sanction : Résolution du Plan

En cas d'inexécution des engagements par le débiteur, le tribunal (saisi d'office, par un créancier, le commissaire à l'exécution ou le ministère public) peut prononcer la résolution du plan[cite: 1189].

Conséquences : Les créanciers retrouvent leurs droits initiaux (créances et sûretés), et les délais/remises accordés sont annulés.

De plus, si la cessation des paiements du débiteur est constatée pendant l'exécution du plan, le tribunal prononce également la résolution du plan et ouvre une nouvelle procédure[cite: 1190]:

  • Soit un Redressement Judiciaire.
  • Soit une Liquidation Judiciaire (si le redressement est manifestement impossible).

Points Clés du Chapitre 4 (Livre II)

Le plan de restructuration est l'outil central des procédures de sauvegarde et de redressement :

La réussite d'un plan dépend de sa viabilité économique, de l'adhésion des créanciers (ou de la possibilité d'une application forcée via les classes) et de la capacité du débiteur à respecter ses engagements sur la durée.