Du recrutement à la conclusion du contrat de travail Partie 2 - Chapitre 2
Après avoir exploré la diversité des contrats de travail, ce chapitre aborde les étapes cruciales qui précèdent et formalisent la relation de travail : la phase de recrutement et la conclusion du contrat. Si l'employeur jouit d'une liberté de choix, celle-ci est strictement encadrée pour prévenir les discriminations et protéger les candidats. La conclusion du contrat elle-même obéit à des règles de forme et de fond, et peut être enrichie (ou alourdie) par des clauses spécifiques dont la validité et la portée doivent être maîtrisées.
Section 1: La Phase de Recrutement
Le recrutement est une étape stratégique pour l'entreprise. L'employeur choisit librement son futur collaborateur (L. 1221-6
)[cite: 531], mais cette liberté est encadrée par des principes visant à garantir la transparence, la pertinence et l'absence de discrimination.
A. Liberté de Choix et Encadrement Légal
- Principe de non-discrimination : C'est la limite la plus fondamentale. Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement en raison de son origine, sexe, mœurs, orientation sexuelle, identité de genre, âge, situation de famille, grossesse, caractéristiques génétiques, appartenance (vraie ou supposée) à une ethnie, nation ou prétendue race, opinions politiques, activités syndicales ou mutualistes, convictions religieuses, apparence physique, nom de famille, lieu de résidence, état de santé, perte d'autonomie ou handicap (
L. 1132-1
)[cite: 534]. Cette liste de 25 critères est exhaustive.Piège fréquent : Poser des questions, même indirectes, relatives à l'un de ces critères lors d'un entretien est illégal (ex: "Envisagez-vous d'avoir des enfants prochainement ?", "Quelle est votre nationalité d'origine ?"). L'offre d'emploi elle-même ne doit contenir aucune mention discriminatoire. - Pertinence des informations collectées : Les informations demandées au candidat, sous quelque forme que ce soit, ne peuvent avoir comme finalité que d'apprécier sa capacité à occuper l'emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles (
L. 1221-6
)[cite: 536]. Toute question sur la vie privée sans lien direct et nécessaire avec l'emploi est prohibée. Les méthodes de recrutement utilisées doivent également être pertinentes au regard de la finalité poursuivie (L. 1221-8
)[cite: 537]. - Transparence des méthodes : Le candidat doit être expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d'aide au recrutement utilisées à son égard (
L. 1221-8
)[cite: 533]. Les résultats obtenus doivent rester confidentiels (L. 1221-9
inspiré parL. 1221-7
sur la collecte d'informations).
B. Obligations Réciproques et Sanctions
- Obligation de bonne foi du candidat : Le candidat est tenu de répondre de bonne foi aux demandes d'informations pertinentes (
L. 1221-6
)[cite: 538]. Fournir des informations volontairement erronées sur des éléments essentiels (diplômes, expérience déterminante) peut constituer un dol justifiant l'annulation du contrat s'il est découvert après l'embauche, ou même un motif de licenciement[cite: 558, 559]. A contrario, le candidat n'est pas tenu de répondre (ou peut mentir) à une question impertinente ou discriminatoire[cite: 539]. - Sanctions pour l'employeur :
- En cas de discrimination à l'embauche, le candidat écarté peut obtenir des dommages et intérêts pour le préjudice subi (moral et perte de chance). Des sanctions pénales lourdes sont également prévues (
Code Pénal, Art. 225-2
). - En cas d'utilisation de méthodes de recrutement irrégulières ou de collecte d'informations non pertinentes, le candidat peut également demander réparation[cite: 540].
- En cas de discrimination à l'embauche, le candidat écarté peut obtenir des dommages et intérêts pour le préjudice subi (moral et perte de chance). Des sanctions pénales lourdes sont également prévues (
L. 1134-1
) : le candidat présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination ; il incombe alors à l'employeur de prouver que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (testing, statistiques...).
Section 2: La Conclusion du Contrat de Travail et ses Clauses
Une fois le candidat sélectionné, la relation de travail se formalise par la conclusion du contrat. Cette étape obéit à des conditions de forme et de fond, et le contrat peut inclure diverses clauses spécifiques.
A. La Conclusion du Contrat de Travail
1. Conditions de Forme
- Principe du consensualisme (pour le CDI) : Le CDI est en principe un contrat consensuel, ne nécessitant pas d'écrit pour être valable (sauf exceptions : temps partiel, CDI intermittent...)[cite: 543]. Un accord verbal suffit à le former.
- Exigence d'un écrit pour certains contrats : Comme vu au Chapitre 1, le CDD et le contrat de mission (intérim) doivent impérativement être écrits et comporter des mentions obligatoires, sous peine de requalification en CDI[cite: 544].
- Langue Française : Tout contrat de travail exécuté en France doit être rédigé en français (
L. 1221-3
)[cite: 545]. Une traduction peut être fournie au salarié étranger. - Formalités à la charge de l'employeur :
- 1. Déclaration Préalable à l'Embauche (DPAE) : Obligatoire, à transmettre à l'URSSAF avant l'embauche effective (au plus tôt 8 jours avant)[cite: 546]. Elle regroupe plusieurs formalités. Son absence peut constituer une infraction de travail dissimulé.
- 2. Vérification du titre de travail pour les salariés étrangers[cite: 547].
- 3. Inscription sur le Registre Unique du Personnel[cite: 548].
- 4. Affiliation aux caisses de retraite complémentaire et de prévoyance[cite: 548].
- 5. Remise d'informations au salarié (convention collective applicable, règlement intérieur...)[cite: 549].
- 6. Organisation de la formation à la sécurité[cite: 550].
- 7. Organisation de la Visite d'Information et de Prévention (VIP) par le service de santé au travail (remplace la visite médicale d'embauche sauf exceptions)[cite: 550].
- *Simplifications possibles via Chèque Emploi Service Universel (CESU) ou Titre Emploi Service Entreprise (TESE) pour certaines structures*[cite: 551].
- Obligation d'information (Directive UE 91/553/CEE - transposée) : L'employeur doit informer par écrit le salarié des éléments essentiels de la relation de travail[cite: 552]. En France, on considère souvent que le bulletin de paie détaillé et la DPAE remplissent cette obligation[cite: 553], bien que la remise du bulletin soit postérieure à l'embauche[cite: 554].
2. Conditions de Fond
- Validité selon le Droit Commun des Contrats (
L. 1221-1
)[cite: 555]: Le contrat de travail doit respecter les conditions générales de validité des contrats (Art. 1128 Code Civil
) :- Consentement libre et éclairé : Absence de vice du consentement (erreur, dol, violence).
- Capacité de contracter : Aptitude juridique des parties (âge légal, absence d'incapacité...).
- Contenu licite et certain : L'objet du contrat (le travail) et sa cause (la contrepartie) doivent être légaux et déterminés.
- Problématiques Spécifiques :
- Renseignements inexacts du salarié : Si le mensonge porte sur un élément déterminant du consentement de l'employeur (ex: faux diplôme essentiel pour le poste), il peut constituer un dol entraînant la nullité du contrat[cite: 558]. La jurisprudence admet aussi que cela puisse justifier un licenciement si découvert plus tard, même si l'exécution du travail est correcte, ce qui est débattu[cite: 559, 560].
- Promesse d'embauche : Un écrit de l'employeur proposant un engagement peut avoir une valeur juridique contraignante[cite: 561, 562]. La jurisprudence (Cass. Soc., 21 sept. 2017, n°16-20.103 et 16-20.104) [cite: 567] distingue désormais :
- L'Offre de contrat de travail : L'employeur propose un engagement précisant l'emploi, la rémunération et la date d'entrée, et exprime sa volonté d'être lié en cas d'acceptation. Sa rétractation abusive avant acceptation (ou avant fin du délai fixé) engage sa responsabilité extracontractuelle (dommages-intérêts) mais ne forme pas le contrat[cite: 568].
- La Promesse unilatérale de contrat de travail : Contrat par lequel l'employeur accorde au candidat le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. La révocation de la promesse pendant le délai laissé au bénéficiaire n'empêche pas la formation du contrat promis[cite: 568]. Sa rupture par l'employeur s'analyse alors en un licenciement sans cause réelle et sérieuse[cite: 569].
B. Les Clauses Spécifiques du Contrat de Travail
Au-delà des éléments essentiels (rémunération, qualification, durée et lieu de travail), le contrat peut contenir des clauses particulières. Leur validité est subordonnée au respect de l'ordre public et des libertés fondamentales.
1. La Clause de Mobilité Géographique
- Objet : Permettre à l'employeur de modifier le lieu de travail du salarié sans que cela constitue une modification du contrat nécessitant son accord[cite: 575].
- Conditions de Validité (Jurisprudence constante depuis ~2002/2006)[cite: 576]:
- 1. Être expressément prévue dans le contrat de travail (ou la convention collective applicable).
- 2. Définir de façon précise sa zone géographique d'application[cite: 577]. Une clause visant "toute la France" ou "tous les établissements actuels et futurs" est généralement jugée trop imprécise et donc nulle[cite: 580]. La zone doit être déterminée ou déterminable objectivement au moment de la signature.
- 3. Ne pas conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée[cite: 578].
- Conditions de Mise en Œuvre :
- L'employeur doit respecter un délai de prévenance raisonnable.
- La mise en œuvre doit être faite de bonne foi et dans l'intérêt de l'entreprise (pas dans l'intention de nuire).
- Elle ne doit pas porter une atteinte disproportionnée au droit du salarié à une vie personnelle et familiale, au regard du but recherché (
L. 1121-1
)[cite: 581]. Le juge contrôle cette proportionnalité (ex: situation familiale difficile, conséquences sur la scolarité des enfants...).
- Refus du Salarié : Si la clause est valable et mise en œuvre de bonne foi et de manière proportionnée, le refus du salarié constitue une faute (voire une cause réelle et sérieuse de licenciement), car il s'agit d'un simple changement des conditions de travail prévu contractuellement. Si la clause est nulle ou mise en œuvre abusivement, le refus est légitime.
2. La Clause de Non-Concurrence
- Objet : Interdire au salarié, après la rupture de son contrat de travail, d'exercer une activité professionnelle concurrente (soit pour son propre compte, soit pour un nouvel employeur) susceptible de nuire à son ancien employeur[cite: 582].
- Conditions de Validité Cumulatives (Jurisprudence Cass. Soc., 10 juillet 2002)[cite: 585]:
- 1. Être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise (au regard de la nature de l'emploi, du contact avec la clientèle, de l'accès à des informations sensibles...)[cite: 586, 587]. Une clause imposée à un salarié sans responsabilités ni accès à des données stratégiques est souvent nulle[cite: 588].
- 2. Être limitée dans le temps (durée raisonnable, souvent 1 à 2 ans) ET dans l'espace (secteur géographique pertinent par rapport à l'activité et au risque de concurrence)[cite: 590, 591].
- 3. Tenir compte des spécificités de l'emploi du salarié et ne pas l'empêcher d'exercer une activité professionnelle conforme à sa formation et à son expérience[cite: 592, 593]. L'interdiction doit viser des activités précisément définies[cite: 594].
- 4. Comporter une contrepartie financière (indemnité de non-concurrence) versée au salarié après la rupture[cite: 595]. Cette contrepartie ne doit pas être dérisoire (souvent entre 25% et 50% du salaire mensuel moyen)[cite: 597]. Son absence ou son caractère dérisoire rend la clause nulle.
- Mise en œuvre et Sanctions :
- La contrepartie est due dès lors que le salarié respecte l'interdiction, peu importe qu'il ait retrouvé un emploi non concurrent ou soit au chômage.
- L'employeur peut renoncer à l'application de la clause (et donc au paiement de la contrepartie) si le contrat ou la convention collective le prévoit expressément, et à condition de le faire dans un délai précis (souvent au moment de la notification de la rupture ou peu après)[cite: 598].
- Seul le salarié peut invoquer la nullité de la clause (si une condition manque)[cite: 599]. S'il la respecte alors qu'elle est nulle, il peut réclamer des dommages-intérêts pour le préjudice subi[cite: 600]. Si l'employeur ne verse pas la contrepartie due, le salarié est libéré de son obligation[cite: 601].
- Si le salarié viole une clause valable, il perd le droit à la contrepartie et peut être condamné à rembourser les sommes déjà perçues, ainsi qu'à verser des dommages et intérêts à l'ex-employeur[cite: 602]. Le nouvel employeur peut aussi voir sa responsabilité engagée s'il a embauché le salarié en connaissance de cause.
3. La Clause de Rémunération Variable (ou Clause d'Objectifs)
- Objet : Prévoir qu'une partie de la rémunération du salarié dépendra de la réalisation de certains objectifs (quantitatifs ou qualitatifs) ou de critères de performance.
- Conditions de Validité (Jurisprudence Cass. Soc., 2 juillet 2002)[cite: 604]:
- 1. Les objectifs ou critères doivent être fondés sur des éléments objectifs, indépendants de la seule volonté de l'employeur[cite: 604, 606]. Ils doivent être réalistes et réalisables. Des objectifs flous ou soumis à l'appréciation discrétionnaire de l'employeur sont illicites[cite: 607]. Ex: OK pour commission sur CA réalisé ; NON pour prime "si travail satisfaisant" sans autre précision.
- 2. La clause ne doit pas faire porter le risque d'entreprise sur le salarié[cite: 604, 610]. La part variable ne doit pas pouvoir être réduite à néant du seul fait de la conjoncture économique défavorable, indépendamment des efforts du salarié.
- 3. La rémunération totale (fixe + variable potentiel) ne doit pas descendre en dessous des minima légaux (SMIC) et conventionnels applicables[cite: 604, 605].
- 4. Si les objectifs sont fixés annuellement, ils doivent être portés à la connaissance du salarié en début d'exercice et être rédigés en français. À défaut, ils sont inopposables et la part variable est due intégralement.
- Contentieux fréquent : Porte souvent sur le caractère réaliste des objectifs, leur modification unilatérale en cours d'année (interdite sauf exceptions), ou le calcul de la part variable en cas de départ du salarié en cours d'exercice.