Les représentants des salariés Partie 5 - Chapitre 2

Les relations collectives de travail impliquent l'existence d'interlocuteurs représentant les salariés face à l'employeur. Le droit français organise cette représentation autour de deux piliers distincts mais parfois complémentaires : la représentation syndicale, issue de la liberté syndicale et dont le rôle principal est la négociation collective (Section 1), et la représentation élue du personnel, incarnée aujourd'hui principalement par le Comité Social et Économique (CSE), qui exerce des missions d'information, de consultation et de gestion des activités sociales et culturelles (Section 2). Ces représentants bénéficient d'un statut protecteur spécifique.

Il est à noter que pour regrouper artificiellement des entreprises juridiquement distinctes mais économiquement et socialement liées (afin d'atteindre les seuils de mise en place des institutions), la reconnaissance d'une Unité Économique et Sociale (UES) est possible par accord collectif ou décision de justice.

Section 1: Les Représentants Syndicaux

Issus des organisations syndicales, ces représentants jouent un rôle clé dans la défense des intérêts collectifs et la négociation des normes professionnelles.

A. La Liberté Syndicale : Fondement de l'Action

  • Principe Constitutionnel : Affirmée dès 1884 (Loi Waldeck-Rousseau) et consacrée par le Préambule de 1946, la liberté syndicale est un droit fondamental (L. 2141-1 s.).
  • Dimension Positive : Droit pour tout salarié d'adhérer au syndicat de son choix, de participer à des activités syndicales, et de créer un syndicat. L'employeur ne peut sanctionner ou discriminer un salarié en raison de son appartenance ou activité syndicale (L. 1132-1).
  • Dimension Négative : Droit de ne pas adhérer à un syndicat. Interdiction des clauses de "closed shop" ou "union shop" qui conditionneraient l'embauche à l'adhésion syndicale.

B. Objet et Constitution des Syndicats

  • Objet Exclusif (L. 2131-1) : L'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, collectifs et individuels, des personnes visées par leurs statuts (principe de spécialité). Interdiction d'activités purement politiques ou commerciales.
  • Constitution : Simple dépôt des statuts (rédigés librement) en mairie pour acquérir la personnalité morale (capacité d'agir en justice, de contracter, de posséder un patrimoine).
  • Organisation : Structure libre (syndicats de base, unions locales/départementales, fédérations de branche, confédérations interprofessionnelles). Fonctionnement démocratique.
  • Financement : Cotisations des adhérents, subventions publiques, fonds paritaire de financement du dialogue social. Obligation de transparence financière (certification et publication des comptes).

C. L'Action Syndicale et la Représentativité

Les prérogatives des syndicats dépendent de leur représentativité, notion centrale depuis la loi de 2008 qui a supprimé les présomptions irréfragables.

1. La Notion de Représentativité Syndicale (L. 2121-1 s.)

  • Appréciation : La représentativité s'apprécie au niveau où la prérogative est exercée (principe de concordance).
  • Représentativité Patronale : Existe également depuis 2014 avec des critères adaptés (L. 2151-1), basée notamment sur le nombre d'entreprises adhérentes et/ou le nombre de salariés employés.

2. L'Action Revendicative

Présentation et défense des intérêts des salariés par divers moyens : grève, manifestation, pétition, et surtout, négociation collective (voir Chapitre 3).

3. L'Action en Justice

Les syndicats ont une capacité d'agir en justice étendue :

  • Pour la défense de leurs intérêts propres (ex: atteinte à leur image).
  • Pour la défense de l'intérêt collectif de la profession (L. 2132-3) (ex: demander l'exécution d'une convention collective, agir contre le travail illégal, se constituer partie civile...). Ouvert même aux syndicats non représentatifs.
  • Par action de substitution : Agir à la place d'un salarié individuel pour la défense de ses droits, si celui-ci ne s'y oppose pas, dans les cas prévus par la loi (ex: CDD/intérim irrégulier, égalité H/F, licenciement économique...). Parfois réservé aux syndicats représentatifs.
  • Par action de groupe (depuis 2016) : Pour faire cesser une discrimination collective et obtenir réparation (ouverte aussi à certaines associations).

D. Le Syndicat dans l'Entreprise

La loi de 1968 a permis l'implantation des syndicats au sein même des entreprises via la section syndicale et les délégués.

1. La Section Syndicale (L. 2142-1 s.)

  • Constitution : Peut être créée par tout syndicat représentatif, ou qualifié (satisfaisant les 4 premiers critères de représentativité), ou affilié à une organisation représentative au niveau national/interprofessionnel, dès lors qu'il a au moins 2 adhérents dans l'entreprise/établissement. Pas de condition d'effectif de l'entreprise.
  • Moyens d'Action : Collecte de cotisations, affichage (panneaux dédiés), distribution de tracts, organisation de réunions (hors temps de travail ou sur crédit d'heures), local syndical (obligatoire si >200 salariés), accès à l'intranet (sous conditions).

2. Le Délégué Syndical (DS) (L. 2143-3 s.)

  • Désignation : Par chaque syndicat représentatif dans les entreprises/établissements d'au moins 50 salariés.
  • Conditions (pour le salarié désigné) : Avoir ≥ 18 ans, ≥ 1 an d'ancienneté, jouir de ses droits civiques, et avoir obtenu au moins 10% des voix à titre personnel lors des dernières élections du CSE. Si aucun candidat n'atteint ce score, le syndicat peut désigner un autre candidat ou un adhérent.
  • Rôle Principal : Représenter son syndicat auprès de l'employeur, animer la section syndicale, et surtout, négocier et conclure les accords collectifs d'entreprise/établissement. C'est l'interlocuteur privilégié de la négociation.
  • Moyens : Crédit d'heures spécifique (12h à 24h/mois selon effectif), liberté de déplacement dans/hors entreprise, protection spéciale contre le licenciement (salarié protégé).

3. Le Représentant de la Section Syndicale (RSS) (L. 2142-1-1 s.)

  • Désignation : Par un syndicat non représentatif mais "qualifié" (ou affilié) dans les entreprises/établissements d'au moins 50 salariés. Sert à implanter le syndicat en vue d'acquérir la représentativité aux prochaines élections.
  • Rôle et Moyens : Mêmes prérogatives que le DS (animation section, tracts, affichage...) sauf le pouvoir de négocier et conclure des accords collectifs (sauf cas très exceptionnels). Bénéficie d'un crédit d'heures (4h/mois) et du statut protecteur. Son mandat cesse s'il n'obtient pas 10% aux élections suivantes ou si le syndicat devient représentatif (il peut alors être désigné DS).
Distinction DS / RSS Cruciale : Seul le DS, désigné par un syndicat représentatif, a le pouvoir de négocier et signer des accords collectifs engageant l'entreprise. Le RSS a un rôle plus limité de représentation et d'implantation.

Section 2: Les Représentants du Personnel Élus : Le CSE

Depuis les ordonnances Macron de 2017, les anciennes instances élues (Délégués du Personnel - DP, Comité d'Entreprise - CE, Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail - CHSCT) ont fusionné en une instance unique : le Comité Social et Économique (CSE).

A. Mise en Place et Périmètre

  • Obligation : Le CSE doit être mis en place dans toutes les entreprises d'au moins 11 salariés pendant 12 mois consécutifs (L. 2311-2).
  • Périmètre : En principe l'entreprise. Des CSE d'établissement distincts et un CSE central sont mis en place dans les entreprises comportant au moins 2 établissements distincts. La reconnaissance d'une UES peut aussi conduire à un CSE commun.
  • Autres Instances Possibles : Comité de groupe, Comité d'entreprise européen (pour entreprises de dimension européenne).

B. Le CSE dans les Entreprises de Moins de 50 Salariés

Ses attributions et moyens sont plus limités, reprenant essentiellement celles des anciens Délégués du Personnel (DP).

  • Attributions (L. 2312-5 s.) :
    • Présenter les réclamations individuelles et collectives (salaires, application droit...).
    • Promouvoir la santé, sécurité et amélioration des conditions de travail.
    • Exercer le droit d'alerte (atteinte droits/libertés, danger grave...).
    • Saisir l'inspection du travail.
    • Être consulté ponctuellement (ex: licenciement économique collectif < 10).
  • Composition (L. 2314-1) : Employeur + délégation élue (1 titulaire/1 suppléant si 11-24 salariés ; 2 titulaires/2 suppléants si 25-49 salariés). Suppléant n'assiste aux réunions qu'en l'absence du titulaire.
  • Fonctionnement : Pas de personnalité morale propre. Réunions mensuelles. Crédit d'heures pour les élus (10h/mois). Local.

C. Le CSE dans les Entreprises de 50 Salariés et Plus

Instance dotée de pouvoirs étendus, héritant des attributions des DP, CE et CHSCT.

1. Composition et Fonctionnement

  • Composition (L. 2314-1) : Employeur (président, assisté de collaborateurs) + Délégation élue (nombre variable selon effectif, de 4 titulaires/suppléants pour 50-74 salariés à 35 pour 10000+) + Représentants syndicaux désignés par les syndicats représentatifs (voix consultative).
  • Mandat : 4 ans, limité à 3 mandats successifs (sauf accord contraire).
  • Personnalité Morale : Le CSE a la personnalité civile, peut agir en justice, posséder des biens...
  • Bureau : Désigne un Secrétaire et un Trésorier parmi ses membres élus titulaires.
  • Réunions (L. 2315-27) : Fréquence fixée par accord (min 6/an), à défaut : mensuelle (≥300 salariés) ou bimestrielle (<300 salariés). Au moins 4 réunions/an portent sur la santé, sécurité et conditions de travail (SSCT).
  • Commissions Spécialisées :
    • Commission Santé, Sécurité et Conditions de Travail (CSSCT) : Obligatoire si ≥ 300 salariés (ou dans établissements à risque). Exerce par délégation tout ou partie des attributions SSCT du CSE. Pas de personnalité morale propre.
    • Autres commissions obligatoires (sauf accord contraire) selon effectif : Formation, Information/Logement, Égalité Pro (≥300) ; Commission Économique (≥1000).
    • Commission des marchés (si dépassement certains seuils de ressources).
  • Moyens :
    • Budgets distincts : Budget de fonctionnement (0,20% ou 0,22% masse salariale brute) + Budget Activités Sociales et Culturelles (ASC - contribution fixée par accord ou historique).
    • Local équipé.
    • Crédit d'heures pour les élus (variable selon effectif).
    • Droit à la formation (économique, SSCT).
    • Recours à l'expertise (expert-comptable pour consultations éco, expert SSCT...). Coûts partagés ou pris en charge par l'employeur selon les cas (règles modifiées par ordonnances).

2. Attributions Principales

  • Attributions Économiques (L. 2312-8 s.) : Assurer l'expression collective des salariés, défendre leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion, à l'évolution économique et financière, à l'organisation du travail, à la formation...
    • Information : Accès à la Base de Données Économiques, Sociales et Environnementales (BDESE), informations ponctuelles.
    • Consultations Récurrentes Obligatoires : (périodicité adaptable par accord)
      1. Orientations stratégiques de l'entreprise.
      2. Situation économique et financière.
      3. Politique sociale, conditions de travail et emploi.
    • Consultations Ponctuelles Obligatoires : Sur de nombreuses décisions affectant l'entreprise (restructuration, licenciement collectif éco, introduction nouvelles technologies, durée travail...).
    • Droit d'Alerte Économique : Si faits préoccupants sur la situation économique.
    L'avis rendu par le CSE est consultatif (sauf rares exceptions). Le défaut d'information/consultation constitue un délit d'entrave et peut justifier la suspension de la décision patronale.
  • Gestion des Activités Sociales et Culturelles (ASC) (L. 2312-78 s.) : Reprise des attributions de l'ancien CE (cantine, voyages, chèques vacances, culture, sport...). Gestion autonome du budget ASC.
  • Attributions en Santé, Sécurité et Conditions de Travail (SSCT) (L. 2312-9 s.) : Reprise des missions de l'ancien CHSCT.
    • Analyse des risques professionnels.
    • Contribution à la prévention (propositions...).
    • Inspections régulières des lieux de travail.
    • Enquêtes en cas d'accidents du travail ou maladies professionnelles.
    • Droit d'alerte en cas de danger grave et imminent.

D. Les Adaptations Conventionnelles

Des accords collectifs peuvent aménager l'organisation de la représentation élue :

  • Représentants de Proximité (L. 2313-7) : Un accord peut mettre en place ces représentants (membres ou non du CSE) pour assurer un relais local, notamment dans les entreprises multi-sites. Leurs attributions sont définies par l'accord.
  • Conseil d'Entreprise (L. 2321-1 s.) : Un accord peut transformer le CSE en Conseil d'Entreprise, lui conférant, en plus de ses attributions classiques, la compétence pour négocier et conclure des accords collectifs (se substituant alors aux DS). Conditions de validité des accords spécifiques. Peut aussi avoir un droit de veto sur certains thèmes (formation...).

Section 3: Le Statut Protecteur des Représentants

Pour garantir leur indépendance et leur permettre d'exercer librement leur mandat sans crainte de représailles, les représentants du personnel (élus et syndicaux) bénéficient d'un statut protecteur.

  • Protection contre le Licenciement : Leur licenciement (ainsi que d'autres mesures comme la rupture conventionnelle, la mise à la retraite...) est soumis à une autorisation préalable de l'inspecteur du travail, après avis (consultatif) du CSE.
  • Champ d'Application : Concerne les élus du CSE (titulaires et suppléants), les DS, les RSS, les représentants de proximité, les conseillers prud'hommes, les conseillers du salarié, les candidats aux élections pendant 6 mois, les anciens élus/mandatés pendant 6 à 12 mois après la fin du mandat...
  • Contrôle de l'Inspecteur : Vérifie que le licenciement n'est pas lié au mandat ou discriminatoire, et que la procédure est régulière. En cas de faute, il contrôle aussi sa réalité et sa gravité.
  • Sanction : Le licenciement prononcé sans autorisation ou malgré un refus est nul. Le salarié a droit à réintégration et/ou indemnisation conséquente.
  • Délit d'Entrave : Le fait de porter atteinte à la libre désignation des représentants, à l'exercice de leurs fonctions, ou au fonctionnement régulier des instances est un délit pénal (amende, voire emprisonnement), passible également de sanctions civiles.