Chapitre 1 : Le Droit Fiscal

Section 1 : Définition

Ce chapitre inaugural définit le périmètre et la nature du droit fiscal, une branche essentielle du droit public marquée par une forte technicité et des interactions constantes avec d'autres domaines.

Définition Fondamentale

Le droit fiscal est la branche du droit qui régit et étudie l'impôt. Il constitue l'ensemble des règles juridiques relatives aux impositions de toutes natures[cite: 34, 35].

Étymologiquement, "fiscal" vient du latin "fiscus" (panier du collecteur) et "impôt" de "imponere" (imposer)[cite: 31, 32].

Champ d'Application

Le droit fiscal détermine:

  • La notion même d'imposition et ses différentes catégories.
  • Le régime juridique propre à chaque impôt (assiette, taux, fait générateur, etc.).
  • Les conditions d'élaboration et d'application de la loi fiscale.
  • Les compétences et prérogatives des administrations fiscales.
  • Les obligations (déclaration, paiement) et les garanties accordées aux contribuables.
  • Les règles du contrôle fiscal et du contentieux fiscal[cite: 58].

Positionnement et Autonomie

  • Droit de la Puissance Publique : Le droit fiscal exprime une prérogative régalienne de l'État et des collectivités publiques[cite: 40].
  • Sous-ensemble des Finances Publiques : Les finances publiques englobent ressources (dont l'impôt) ET dépenses publiques[cite: 41]. Le droit fiscal se concentre sur les ressources, principalement l'impôt[cite: 43].
  • Autonomie Relative : Historiquement lié au droit administratif, le droit fiscal est aujourd'hui considéré comme une branche autonome du droit public[cite: 49, 51]. Cependant, cette autonomie n'est pas totale : il interagit constamment avec d'autres branches (droit civil, commercial, etc.) pour qualifier des situations ou des revenus[cite: 52, 56], et il utilise parfois des notions propres qui dérogent au droit commun[cite: 55].
Enjeu Pratique : Autonomie et Qualification

Pour un avocat, comprendre cette autonomie relative est crucial. Il faut maîtriser les règles fiscales spécifiques mais aussi savoir comment le droit fiscal interprète ou requalifie des situations de droit privé (ex: qualification fiscale des bénéfices d'une société civile de construction-vente en BIC)[cite: 57].

Section 2 : Les Sources du Droit Fiscal

Le droit fiscal puise ses règles dans une pluralité de sources hiérarchisées, dont la connaissance est indispensable pour déterminer le droit applicable.

Schéma Simplifié : Hiérarchie des Normes Fiscales 1. Bloc de Constitutionnalité (Constitution 1958, Préambules 46/DDHC 1789, Principes...) | v 2. Traités Internationaux & Droit de l'Union Européenne (Primauté Art. 55 Const.) | v 3. Loi (Organique / Ordinaire - CGI / LPF) | v 4. Règlements (Décrets, Arrêtés...) | v 5. Jurisprudence (CC, CE, Cass, CJUE...) | v 6. Doctrine Administrative (BOFIP, Rescrits...) - Opposable sous conditions

a. Les Sources Constitutionnelles

Le sommet de la hiérarchie, incluant la Constitution de 1958, son préambule, la DDHC de 1789 et le préambule de 1946 (formant le "bloc de constitutionnalité" depuis la décision "Liberté d'association" de 1971)[cite: 66, 68].

  • Art. 34 Constitution : Réserve à la loi la fixation des règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures[cite: 65, 67].
  • Art. 13 DDHC : Fonde le principe d'égalité devant l'impôt ("également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés") et le principe de nécessité ("contribution commune indispensable")[cite: 70, 71].
  • Art. 14 DDHC : Fonde le principe de légalité et de consentement à l'impôt (droit des citoyens de constater la nécessité, consentir, suivre l'emploi, déterminer quotité, assiette, recouvrement, durée)[cite: 136].
  • Contrôle du Conseil Constitutionnel : Via le contrôle a priori des lois (Art. 61) et surtout via la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) depuis 2010 (Art. 61-1), permettant de contester la conformité d'une loi fiscale déjà promulguée aux droits et libertés constitutionnels[cite: 101, 105].
Exemple (QPC) : Une QPC peut être soulevée lors d'un contrôle fiscal si le contribuable estime que la loi sur laquelle se fonde le redressement viole, par exemple, le principe d'égalité devant l'impôt[cite: 106, 107].

b. Les Sources Législatives

Principalement la loi votée par le Parlement, conformément à l'article 34 de la Constitution.

  • Code Général des Impôts (CGI) : Créé en 1950, il regroupe l'essentiel des règles de fond relatives aux différents impôts (assiette, taux, exonérations...) et les textes réglementaires d'application dans ses annexes[cite: 72, 73]. C'est l'outil quotidien du fiscaliste mais sa complexité est souvent critiquée[cite: 75].
  • Livre des Procédures Fiscales (LPF) : Créé pour alléger le CGI, il rassemble les règles de procédure : contrôle fiscal, recouvrement, contentieux, garanties du contribuable[cite: 76, 77].

c. Les Sources Internationales

Prennent une importance croissante avec la mondialisation.

  • Traités et Conventions Bilatérales : Visent principalement à éviter les doubles impositions entre deux États et à organiser l'échange d'informations[cite: 81].
  • Convention Européenne des Droits de l'Homme (Conv. EDH) : Source importante, notamment via l'article 6 (procès équitable, applicable au contentieux fiscal) et l'article 1 du Protocole 1 (droit de propriété, encadrant la charge fiscale)[cite: 80]. Jurisprudence de la CEDH influence le droit interne[cite: 989].
  • Droit de l'Union Européenne : Influence majeure, surtout en matière de **TVA** (directives harmonisant la base d'imposition)[cite: 87, 89]. Les directives doivent être transposées mais peuvent avoir un effet direct si claires, précises, inconditionnelles et non transposées à temps[cite: 91]. La jurisprudence de la **Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE)** interprète ce droit et prime sur le droit national[cite: 108, 111].
  • Primauté (Art. 55 Constitution) : Les traités et accords internationaux régulièrement ratifiés ont une autorité supérieure à celle des lois[cite: 82, 83].
Piège Fréquent : Applicabilité du Droit UE

Attention, le droit de l'UE en matière d'impôts directs (IR, IS) est moins harmonisé qu'en TVA. Son application concerne principalement les situations transfrontalières et le respect des libertés fondamentales (libre circulation, non-discrimination), mais la compétence principale reste nationale[cite: 111].

d. Les Sources Jurisprudentielles

Rôle essentiel d'interprétation et parfois de création de règles ou principes.

  • Dualité de Juridictions :
    • Juge Administratif (Tribunal Administratif, Cour Administrative d'Appel, Conseil d'État) : Compétent pour les impôts directs (IR, IS) et la TVA[cite: 99].
    • Juge Judiciaire (Tribunal Judiciaire, Cour d'Appel, Cour de Cassation) : Compétent pour les droits d'enregistrement, droits de timbre, IFI, contributions indirectes[cite: 99].
  • Conseil Constitutionnel : Contrôle de constitutionnalité a priori et via QPC[cite: 101].
  • CJUE : Interprétation du droit de l'UE (questions préjudicielles)[cite: 113].
  • Rôle Créateur : La jurisprudence précise des notions non définies par la loi (ex: notion de revenu) [cite: 96] et dégage des principes généraux (ex: application du principe d'égalité)[cite: 95].
Importance Pratique : Veille Jurisprudentielle

Pour un avocat fiscaliste, suivre l'évolution de la jurisprudence des différentes cours (CE, Cass, CC, CJUE, CEDH) est indispensable car elle peut modifier l'interprétation et l'application des textes fiscaux.

e. La Doctrine Fiscale (Administrative)

Position de l'administration fiscale sur l'interprétation des textes. Non contraignante pour le juge, mais souvent opposable à l'administration par le contribuable.

  • Formes : Circulaires, instructions, Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFIP - Impôts), réponses ministérielles, et surtout le rescrit fiscal[cite: 115].
  • Rescrit Fiscal (Art. L. 80 A, L. 80 B LPF) : Procédure permettant à un contribuable d'interroger l'administration sur :
    • L'interprétation d'un texte fiscal (rescrit général ou de législation).
    • L'application d'un texte fiscal à sa situation de fait particulière.
  • Opposabilité du Rescrit : La prise de position formelle de l'administration via un rescrit lui est opposable. Elle ne pourra pas effectuer de redressement ultérieur si le contribuable :
    • A fourni une présentation écrite, précise et sincère de sa situation.
    • S'est conformé à la solution admise par l'administration.
    • La situation de fait reste inchangée.
    Attention, le rescrit est individuel et ne peut être invoqué par un tiers[cite: 125, 126, 127].
Utilité du Rescrit : Sécurité Juridique

Le rescrit est un outil précieux pour le conseil fiscal, permettant d'obtenir une sécurité juridique avant de réaliser une opération complexe ou nouvelle.

Section 3 : Les Principes Généraux en Droit Fiscal

Issus principalement des sources constitutionnelles, ces principes encadrent le pouvoir d'imposer et protègent les contribuables.

a. Principe de Légalité et Consentement à l'Impôt

  • Fondement : Art. 14 DDHC et Art. 34 Constitution.
  • Signification : L'impôt doit être consenti par les citoyens ou leurs représentants (Parlement). Seule la loi peut fixer les règles essentielles de l'impôt (assiette, taux, modalités de recouvrement).
  • Conséquence : Compétence exclusive du législateur pour créer ou modifier les impôts. Le pouvoir réglementaire ne peut intervenir que pour l'application de la loi. Lien avec le principe d'annualité (l'autorisation de percevoir l'impôt est votée chaque année en loi de finances).
  • Utilité Pratique : Permet de contester une imposition qui ne serait pas fondée sur une base légale claire ou qui relèverait du domaine réglementaire sans habilitation législative.

b. Principe d'Égalité

  • Fondement : Art. 6 DDHC (égalité devant la loi) et Art. 13 DDHC (égalité devant les charges publiques).
  • Double Dimension :
    • Égalité devant la loi fiscale : La loi doit être la même pour tous.
    • Égalité devant les charges publiques : Répartition égale des contributions "en raison des facultés" de chacun (implique une prise en compte de la capacité contributive).
  • Interprétation Jurisprudentielle : Ce n'est pas une égalité absolue. Le législateur peut traiter différemment des personnes dans des situations différentes, ou déroger à l'égalité pour un motif d'intérêt général, à condition que la différence de traitement soit justifiée et en rapport direct avec l'objet de la loi.
  • Utilité Pratique : Moyen de contestation fréquent (notamment via QPC) contre des lois fiscales instaurant des différences de traitement jugées arbitraires ou non justifiées.
  • Piège Fréquent : Invoquer l'égalité sans analyser si les situations comparées sont réellement identiques au regard de l'objet de la loi ou si une différence de traitement n'est pas justifiée par l'intérêt général.

c. Principe de Nécessité de l'Impôt

  • Fondement : Art. 13 DDHC ("contribution commune indispensable") et Art. 14 DDHC (droit de constater la "nécessité").
  • Signification : L'impôt doit être justifié par les besoins de financement des dépenses publiques (entretien force publique, administration). Il ne doit pas être arbitraire ou excessif.
  • Rôle d'Encadrement : Sert à légitimer l'impôt mais aussi à en limiter le poids et les modalités.
  • Lien avec la Rétroactivité : Le Conseil Constitutionnel contrôle la rétroactivité des lois fiscales au regard de ce principe. Une loi fiscale rétroactive n'est admise que si elle est justifiée par un motif impérieux d'intérêt général suffisant.
  • Utilité Pratique : Permet de contester une loi fiscale qui appliquerait de nouvelles charges à des situations passées sans justification valable et sérieuse.
  • Piège Fréquent : Croire que la loi fiscale ne peut jamais être rétroactive. Elle le peut, mais sous un contrôle constitutionnel strict.

Synthèse et Importance pour le Futur Avocat

Ce premier chapitre est fondamental. Il établit que le droit fiscal, bien qu'autonome, est un droit encadré par une hiérarchie stricte de sources (Constitution, Traités, Loi...) et par des principes constitutionnels forts (Légalité, Égalité, Nécessité).

Pour un futur avocat :

  • Maîtriser les sources est essentiel pour identifier la règle applicable et sa force juridique.
  • Connaître les principes généraux permet d'analyser la validité d'une norme fiscale et de construire une argumentation contentieuse (notamment via la QPC).
  • Comprendre l'articulation entre les sources (ex: primauté du droit UE, opposabilité de la doctrine administrative via le rescrit) est crucial pour la sécurité juridique des opérations conseillées aux clients.

Cette base solide est indispensable avant d'aborder l'étude des différents impôts dans les chapitres suivants.