Chapitre 2 : Les Droits d'Enregistrement

Section 1 : Principes

L'enregistrement est une formalité à la fois fiscale et civile qui confère date certaine aux actes sous seing privé (signés entre particuliers) et permet la perception d'un impôt spécifique : les droits d'enregistrement. Cette formalité assure également la conservation des actes.

Objectifs de l'Enregistrement
  • Date Certaine : Rend la date de l'acte incontestable vis-à-vis des tiers.
  • Perception de Droits : Permet au Trésor Public de percevoir un impôt sur certaines opérations juridiques (mutations, constitutions de sociétés...).
  • Conservation : Assure l'archivage des actes par l'administration.

De nombreux actes de la vie des particuliers et des entreprises sont concernés (ventes, successions, donations, constitution ou modification de sociétés...). Historiquement issus de diverses taxes d'Ancien Régime, les droits d'enregistrement constituent une imposition sur la circulation du capital ou la formalisation d'actes juridiques.

Distinction Droit Civil / Droit Fiscal

Bien que l'enregistrement ait une portée civile (date certaine), le régime fiscal des droits d'enregistrement obéit à des règles propres, notamment en distinguant fortement les transmissions à titre onéreux de celles à titre gratuit.

Section 2 : Le Mécanisme Général des Droits d'Enregistrement

Le Code général des impôts (Art. 635 et s.) prévoit trois formalités principales :

a. La Formalité d'Enregistrement Proprement Dite

  • Actes Concernés : Obligatoire pour certains actes, soit en raison de leur nature (actes authentiques ou sous seing privé constatant : transmissions d'immeubles, fonds de commerce, parts sociales ; partages ; opérations sur sociétés...), soit en raison de la qualité du rédacteur (actes de notaires, d'huissiers, décisions judiciaires...).
  • Délai : En principe, 1 mois à compter de la date de l'acte.
  • Lieu : Service de l'enregistrement du lieu de domicile d'une des parties ou du lieu de situation des biens.

b. La Formalité de la Publicité Foncière

  • Actes Concernés : Tous les actes relatifs à des droits réels immobiliers (vente, donation, constitution d'hypothèque...).
  • Objectif : Rendre l'acte opposable aux tiers en l'inscrivant au fichier immobilier tenu par les services de la publicité foncière (anciennement conservation des hypothèques).
  • Délai : En principe, 3 mois à compter de la date de l'acte.
  • Perception Associée : Généralement associée à la perception de la Taxe de Publicité Foncière (TPF) ou de droits d'enregistrement spécifiques.

c. La Formalité Unique (Art. 647 CGI)

  • Cas : Applicable aux actes soumis à la fois à l'enregistrement et à la publicité foncière (ex: vente d'immeuble par acte notarié).
  • Principe : Une seule formalité est accomplie auprès du service de la publicité foncière, qui vaut à la fois enregistrement et publicité.
  • Délai : Le délai est ramené à 1 mois à compter de la date de l'acte.

Section 3 : L'Exigibilité de l'Impôt

L'impôt (droit d'enregistrement ou TPF) devient exigible à un moment précis et son régime varie fortement selon la nature de la mutation.

a. Moment de l'Exigibilité

  • Principe : L'impôt est exigible dès l'établissement de l'écrit qui constate l'opération (acte sous seing privé ou authentique) et qui forme un acte complet.
  • Exceptions : Certains actes sont imposables du seul fait de leur réalisation (même sans écrit), d'autres sont dispensés de la formalité (souvent car exonérés d'impôt).
  • Actes Non Imposables : Les actes constatant un fait juridique résultant de la loi (ex: acquisition par prescription trentenaire) ne sont pas soumis aux droits d'enregistrement.

b. Les Droits sur les Mutations à Titre Onéreux

Principalement les ventes d'immeubles et de fonds de commerce.

1. Ventes d'Immeubles :
  • Formalisme : Doivent être constatées par acte authentique (notarié le plus souvent) et soumises à la formalité unique (enregistrement + publicité foncière).
  • Impôts Dus : Principalement la Taxe Départementale de Publicité Foncière (TPF) ou droits d'enregistrement départementaux, plus une taxe additionnelle communale et des frais d'assiette. Le taux global varie selon les départements (autour de 5.09% à 5.80% en général).
  • Condition d'Exigibilité : La vente doit être parfaite (accord sur la chose et le prix).
    • Vente sous condition suspensive (ex: obtention d'un prêt) : l'impôt n'est dû qu'à la réalisation de la condition.
    • Vente sous condition résolutoire : l'impôt est dû immédiatement car la vente existe, quitte à restitution si la condition se réalise.
2. Ventes de Fonds de Commerce et Assimilés :
  • Soumises à des droits d'enregistrement progressifs calculés sur le prix de vente (après abattement).
  • Concerne aussi les cessions de clientèle, de parts sociales (selon la nature de la société)...

c. Les Droits sur les Mutations à Titre Gratuit

Transferts de propriété sans contrepartie : Successions et Donations.

1. Droits de Succession :

Dus par les héritiers ou légataires sur la part nette reçue du défunt.

  • Déclaration : Obligatoire par les héritiers dans les 6 mois du décès (si décès en France).
  • Assiette : Actif net successoral = Actif brut évalué à la valeur vénale réelle au jour du décès - Passif déductible.
    • Présomptions légales d'appartenance de certains biens au défunt (Art. 752 CGI).
    • Passif déductible : Dettes personnelles du défunt existant au jour du décès, justifiées par écrit et non prohibées (pas de dettes fictives entre héritiers).
  • Calcul :
    1. Détermination de la part nette revenant à chaque héritier/légataire.
    2. Application d'un abattement personnel variable selon le lien de parenté (ex: 100 000 € pour enfant/ascendant, 15 932 € pour frère/sœur, exonération entre époux/partenaires pacsés).
    3. Application d'un barème progressif par tranches sur la part nette taxable après abattement. Le taux varie fortement selon le lien de parenté (très faible ou nul en ligne directe/conjoint, très élevé pour non-parents).
Barème Ligne Directe (Enfants/Ascendants) - Indicatif 2022/2023
Fraction de part nette taxableTaux
N'excédant pas 8 072 €5%
Comprise entre 8 072 € et 12 109 €10%
Comprise entre 12 109 € et 15 932 €15%
Comprise entre 15 932 € et 552 324 €20%
Comprise entre 552 324 € et 902 838 €30%
Comprise entre 902 838 € et 1 805 677 €40%
Au-delà de 1 805 677 €45%
2. Droits de Donation :

Dus par le donataire (celui qui reçoit) sur la valeur des biens donnés.

  • Définition (Art. 894 C. civ.) : Contrat par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte.
  • Règles Similaires à la Succession : L'évaluation des biens, les abattements personnels (ex: 100 000 € par parent/enfant tous les 15 ans) et les barèmes progressifs sont identiques à ceux des successions pour un même lien de parenté.
  • Différence Majeure (Passif) : En principe, le passif du donateur n'est **pas déductible** de l'assiette taxable de la donation (contrairement à la succession). Exception : dettes contractées pour acquérir le bien donné et mises à la charge du donataire dans l'acte.
  • Délai de Déclaration : 1 mois à compter de la date de la donation (ou de la révélation d'un don manuel).
  • Rappel Fiscal : Les donations antérieures de moins de 15 ans sont prises en compte pour calculer les droits sur une nouvelle donation ou succession (diminution des abattements et application des tranches supérieures du barème).
Enjeu Pratique : Anticipation successorale

La donation est un outil majeur d'anticipation successorale, permettant de transmettre son patrimoine de son vivant en bénéficiant des abattements tous les 15 ans. Un avocat doit maîtriser ces règles pour conseiller ses clients en ingénierie patrimoniale.

Points Clés du Chapitre 2 (Partie 4)

Les droits d'enregistrement sont une composante ancienne mais toujours importante de la fiscalité du capital :

  • La formalité d'enregistrement donne date certaine et permet la perception de l'impôt. La publicité foncière assure l'opposabilité aux tiers pour les immeubles. La formalité unique fusionne les deux pour certains actes.
  • L'impôt est exigible lors de l'établissement de l'acte constatant l'opération.
  • Les mutations à titre onéreux (ventes d'immeubles, fonds de commerce...) sont soumises à des droits proportionnels (TPF, droits départementaux...).
  • Les mutations à titre gratuit (successions, donations) sont soumises à des droits progressifs calculés par part nette taxable après abattements, selon un barème variant fortement avec le lien de parenté.
  • Les successions permettent la déduction du passif du défunt, contrairement aux donations (sauf exception).

La maîtrise des règles d'évaluation, de déduction du passif, des abattements et des barèmes est essentielle pour calculer et optimiser les droits dus lors des transmissions de patrimoine.