Chapitre 1 : Le Contrôle Fiscal

Le système fiscal français reposant largement sur les déclarations des contribuables (système déclaratif), l'administration fiscale dispose de pouvoirs étendus pour vérifier l'exactitude et la sincérité de ces déclarations. Ce contrôle est le corollaire nécessaire du système déclaratif et trouve un fondement constitutionnel dans la nécessité de lutter contre la fraude fiscale.

Ce chapitre détaille les différents droits et pouvoirs de l'administration en matière de vérification et de rectification, ainsi que les garanties accordées aux contribuables.

Fondement Constitutionnel (Déc. CC 1983)

Le Conseil Constitutionnel a affirmé que "L'exercice des libertés et droits individuels ne saurait en rien excuser la fraude fiscale ni en entraver la légitime répression", justifiant ainsi les pouvoirs de contrôle de l'administration.

Section 1 : Les Droits et Pouvoirs de Vérification de l'Administration

L'administration dispose d'une palette d'outils pour collecter des informations et vérifier les déclarations.

a. Demandes d'Éclaircissements et de Justifications (Art. L. 16 LPF)

  • Objet : Demander au contribuable des explications sur des points précis de sa déclaration (discordances, incohérences avec d'autres informations détenues par le fisc).
  • Forme : Demande écrite et précise.
  • Caractère Non Contraignant (Principe) : Le contribuable n'est généralement pas obligé de répondre (sauf exceptions, ex: Art L.16 LPF pour l'IR sur certains points).
  • Distinction :
    • Éclaircissements : Demande d'explications sur les éléments déclarés.
    • Justifications : Demande de preuves concernant la situation et les charges de famille (pour l'IR).
  • Portée : Ne peuvent porter que sur les mentions figurant dans les déclarations souscrites.

b. Droit de Communication (Art. L. 81 et s. LPF)

  • Objet : Permet à l'administration d'obtenir des documents et informations détenus par des tiers (banques, employeurs, clients, fournisseurs, plateformes en ligne...) concernant la situation fiscale du contribuable contrôlé.
  • Étendue : Très large, peut être nominatif ou non nominatif (collecte de données sur internet depuis 2015).
  • Caractère Contraignant : Le tiers sollicité est tenu de répondre sous peine d'amende (Art. 1734 CGI).
  • Communication Automatique : Certaines autorités (ex: judiciaire) ont l'obligation de communiquer d'office des informations présumant une fraude fiscale.
Utilité Pratique : Le droit de communication est un outil puissant pour l'administration, lui permettant de recouper les informations déclarées par le contribuable avec celles détenues par des tiers (comptes bancaires, factures...).

c. Vérification de Comptabilité et ESFP

Ce sont les deux principales procédures de contrôle approfondi.

1. Vérification de Comptabilité (Art. L. 13 LPF) :
  • Objet : Contrôler sur place la comptabilité des contribuables astreints à tenir et présenter des documents comptables (entreprises, professionnels...).
  • Déroulement : En principe sur place (locaux de l'entreprise), précédée d'un avis de vérification (sauf contrôle inopiné).
  • Garanties Communes (Art. L. 47, L. 10 LPF) :
    • Envoi préalable d'un avis de vérification (mentionnant années vérifiées, droit à assistance par conseil).
    • Remise de la Charte des droits et obligations du contribuable vérifié.
    • Communication des résultats du contrôle (même en l'absence de redressement).
  • Garanties Spécifiques :
    • Non-renouvellement : Interdiction de vérifier à nouveau les mêmes impôts pour la même période (sauf cas spécifiques).
    • Durée Limitée : 3 mois maximum pour les PME respectant les seuils du régime simplifié (peut être prorogée).
    • Débat Oral et Contradictoire : Obligation pour le vérificateur de dialoguer avec le contribuable.
2. Examen Contradictoire de la Situation Fiscale Personnelle (ESFP) (Art. L. 12 LPF) :
  • Objet : Contrôler la cohérence entre les revenus déclarés par une personne physique, son patrimoine, son train de vie et sa trésorerie.
  • Personnes Visées : Toute personne physique soumise à l'IR en France (résidente ou non).
  • Mise en Œuvre : Examen du dossier fiscal, demande de relevés de comptes, dialogue avec le contribuable (au bureau ou à domicile).
  • Garanties : Bénéficie des garanties communes (avis, charte, résultat) et spécifiques :
    • Durée Limitée : 1 an maximum en principe (prorogeable à 2 ans si découverte activité occulte ou procédure de communication internationale).
    • Non-renouvellement : Interdiction de refaire un ESFP pour le même impôt et la même période.

d. Droit de Visite et de Saisie (Perquisition Fiscale) (Art. L. 16 B LPF)

  • Objet : Permettre à l'administration, en cas de suspicion de fraude grave (dissimulation de recettes ou d'activité), de pénétrer dans les locaux (y compris privés) du contribuable pour rechercher et saisir des documents probants.
  • Encadrement Judiciaire Strict : Nécessite une autorisation préalable du Juge des Libertés et de la Détention (JLD). La procédure se déroule sous son contrôle.
  • Garanties Renforcées : Suite aux condamnations de la France par la CEDH, des voies de recours spécifiques sont ouvertes au contribuable contre l'ordonnance du JLD et le déroulement des opérations.
  • Caractère Exceptionnel : Procédure intrusive réservée aux cas de présomption de fraude caractérisée.

e. Pouvoirs d'Enquête et de Constat

1. Droit d'Enquête (Art. L. 80 F LPF) :
  • Objet : Vérifier sur place et de manière inopinée le respect des règles de facturation, notamment en matière de TVA (lutte contre fausses factures, carrousels...).
  • Portée : Permet de constater des manquements, dresser des PV, appliquer des amendes, mais ne constitue pas une procédure de vérification (comptabilité ou ESFP).
2. Flagrance Fiscale (Art. L. 16-0 BA LPF) :
  • Objet : Permettre un contrôle rapide (avant même la déclaration) en cas de constat d'une activité frauduleuse en cours (TVA, IS, IR).
  • Pouvoirs : Établissement d'un PV de flagrance, possibilité de saisies conservatoires pour garantir le paiement des impôts présumés éludés.

Section 2 : Les Pouvoirs de Rectification de l'Administration

Lorsque le contrôle révèle des erreurs, omissions ou insuffisances, l'administration peut rectifier les bases d'imposition déclarées par le contribuable selon différentes procédures.

a. La Procédure de Rectification Contradictoire (Procédure de Principe)

C'est la procédure normale lorsque le contribuable a déposé une déclaration mais que l'administration l'estime incorrecte.

  • Condition : Existence d'une déclaration préalable du contribuable.
  • Objectif : Corriger les insuffisances, inexactitudes, omissions ou dissimulations.
  • Caractère Contradictoire : L'administration doit envoyer une proposition de rectification motivée au contribuable, qui a le droit de répondre, de présenter ses observations et de discuter les redressements envisagés.
  • Garanties : Le contribuable peut se faire assister d'un conseil. Le respect du débat contradictoire est une garantie substantielle.
Recours Précontentieux :

Si le désaccord persiste après la réponse du contribuable, des recours amiables sont possibles avant de saisir le juge :

  • Recours Hiérarchique : Demande de réexamen par le supérieur de l'agent vérificateur (Inspecteur Principal, puis Administrateur Départemental).
  • Saisine des Commissions Administratives des Impôts : Commissions paritaires (représentants contribuables/administration, présidées par magistrat) qui donnent un avis sur les litiges factuels (Commission Départementale des Impôts Directs et des Taxes sur le Chiffre d'Affaires - CDITCA, Commission Nationale des Impôts, Commission Départementale de Conciliation pour IFI/Droits Enregistrement...).
Charge de la Preuve :
  • Principe : L'administration supporte la charge de prouver le bien-fondé des redressements, car elle remet en cause la déclaration présumée sincère du contribuable.
  • Exceptions (Charge sur le Contribuable) :
    • Si l'imposition est établie conformément à l'avis de la commission des impôts.
    • Pour justifier l'exactitude de certaines écritures comptables (créances, provisions, charges...).
    • Si la comptabilité présente des irrégularités graves (Art. L. 192 LPF).
    • En cas d'imposition d'office (voir ci-dessous).
  • Preuve des Pénalités : La charge de prouver l'intentionnalité ou la mauvaise foi pour appliquer certaines pénalités incombe toujours à l'administration (Art. L. 195 A LPF).

b. Les Procédures de l'Imposition d'Office

Procédure plus sévère, applicable lorsque le contribuable n'a pas respecté ses obligations déclaratives ou s'est opposé au contrôle.

Cas d'Application :
  • Défaut ou retard de dépôt des déclarations (après mise en demeure).
  • Défaut de réponse à une demande d'éclaircissements ou de justifications (pour les cas où la réponse est obligatoire).
  • Opposition à contrôle fiscal.
Types :
  • Taxation d'Office (Art. L. 66 LPF) : Pour défaut/retard de déclaration d'un impôt (ex: TVA, IS...).
  • Évaluation d'Office (Art. L. 73 LPF) : Pour défaut/retard de déclaration d'une catégorie de revenu (BIC, BNC, BA).
Mise en Œuvre :
  • Mise en Demeure Préalable : Obligatoire (sauf en matière de TVA), laissant 30 jours au contribuable pour régulariser. Si régularisation dans le délai : pas d'imposition d'office mais majoration de 10%.
Déroulement :
  • Non Contradictoire : L'administration fixe unilatéralement les bases d'imposition. Pas de débat oral obligatoire.
  • Garantie : L'administration doit informer le contribuable des bases et modalités de calcul retenues.
  • Charge de la Preuve Inversée : Si le contribuable conteste devant le juge, c'est à lui de prouver le caractère exagéré de l'imposition fixée par l'administration.
  • Sanction pour Opposition à Contrôle (Art. L. 74 LPF, Art. 1732 CGI) : Majoration de 100% des droits rappelés.
Conséquences Lourdes : L'imposition d'office est très défavorable au contribuable (perte de garanties, inversion charge de la preuve, pénalités souvent majorées). Il est crucial pour un avocat de conseiller son client pour éviter d'en arriver là (répondre aux demandes, déposer les déclarations...).

Points Clés du Chapitre 1 (Partie 5)

Ce chapitre expose l'équilibre délicat entre les pouvoirs de l'administration et les garanties du contribuable :

  • L'administration dispose d'un arsenal de pouvoirs de vérification allant de la simple demande d'information au droit de visite et saisie, en passant par la vérification de comptabilité et l'ESFP.
  • En cas d'anomalies, elle utilise principalement la procédure de rectification contradictoire, qui préserve les droits de la défense du contribuable.
  • Le contribuable bénéficie de garanties substantielles (avis préalable, charte, débat contradictoire, non-renouvellement, durée limitée du contrôle sur place...).
  • En cas de manquements graves du contribuable (non-déclaration, opposition), l'administration peut recourir à l'imposition d'office, procédure unilatérale et moins protectrice.
  • La charge de la preuve varie selon la procédure appliquée.

Pour un futur avocat fiscaliste, la maîtrise de ces procédures est essentielle pour assister efficacement un contribuable lors d'un contrôle fiscal, s'assurer du respect de ses garanties et préparer une éventuelle contestation.