Chapitre 2 : Le Contentieux Fiscal

Le contentieux fiscal désigne l'ensemble des litiges qui opposent l'administration fiscale et les contribuables concernant l'application de la loi fiscale. Ce chapitre explore les différentes voies de contestation ouvertes aux contribuables, en distinguant principalement le contentieux de l'assiette (contestation du montant de l'impôt) et celui du recouvrement (contestation des actes de poursuite).

Phase Administrative Préalable OBLIGATOIRE

Une originalité majeure du contentieux fiscal est le caractère obligatoire d'une phase administrative préalable (la réclamation) avant toute saisine du juge. Le non-respect de cette étape rend l'action juridictionnelle irrecevable.

Section 1 : Le Contentieux de l'Imposition

Ce contentieux permet au contribuable de contester le bien-fondé ou le montant de l'impôt mis à sa charge (assiette, calcul).

1. La Phase Administrative : La Réclamation Préalable

Étape obligatoire avant de saisir le juge (Art. R. 190-1 LPF).

a. Principe et Exercice de la Réclamation

  • Objet : Demande de décharge (annulation totale) ou de réduction de l'imposition contestée.
  • Distinction : Ne pas confondre avec le recours gracieux (demande de bienveillance) ou le recours hiérarchique (exercé pendant le contrôle). La réclamation ouvre la phase contentieuse.
  • Délais (Point de départ = mise en recouvrement ou paiement) :
    • Délai général : Expire le 31 décembre de la 2e année suivant l'événement (ex: impôt 2022 mis en recouvrement en 2023 -> réclamation jusqu'au 31/12/2025).
    • Impôts locaux (hors CET) : Expire le 31 décembre de l'année suivant la mise en recouvrement.
    • Suite à rectification : 3 ans après la notification de la proposition de rectification.
  • Compétence : À adresser au service territorial des impôts dont dépend le lieu d'imposition. Erreur d'adressage (ex: Trésorerie) n'entraîne pas l'irrecevabilité si transmise au bon service.
  • Instruction : L'administration a 6 mois pour statuer (délai prolongeable). Le silence gardé pendant 6 mois vaut décision implicite de rejet.
Piège : Délais de Réclamation

Les délais sont stricts et leur non-respect entraîne l'irrecevabilité définitive de la contestation (sauf événement imprévisible ou erreur de l'administration sur l'avis d'imposition).

b. Effets de la Réclamation

  • Réexamen du Dossier : L'administration doit revoir le bien-fondé de l'imposition.
  • Limites du Litige : La réclamation fixe les limites de la contestation future devant le juge (on ne peut pas soulever devant le juge un moyen non présenté dans la réclamation).
  • Substitution de Base Légale : L'administration peut, en cours d'instance (administrative ou judiciaire), changer le fondement juridique de l'imposition pour la maintenir, même si le motif initial était erroné (règle jurisprudentielle favorable à l'admin., mais limitée).

c. Le Sursis de Paiement (Art. L. 277 LPF)

  • Principe : La réclamation n'est PAS suspensive. L'impôt reste exigible.
  • Demande Possible : Le contribuable peut demander expressément un sursis de paiement en même temps que sa réclamation.
  • Effet : Si accordé, diffère l'obligation de payer jusqu'à la décision sur la réclamation (ou du juge si saisi).
  • Condition : Constitution de garanties suffisantes (caution bancaire, hypothèque...). Pas de garantie exigée si montant < 4 500 €.
  • Refus et Recours : Si l'admin refuse les garanties (et donc le sursis), le contribuable peut saisir le juge des référés (référé fiscal) dans les 15 jours (après consignation de 10% de l'impôt contesté).
  • Alternative : Référé suspension de droit commun (urgence + doute sérieux sur légalité imposition).

2. La Phase Juridictionnelle

En cas de rejet (exprès ou implicite après 6 mois de silence) de la réclamation, le contribuable peut saisir le juge compétent.

a. Les Juridictions Compétentes (Art. L. 199 LPF)

La compétence dépend de la nature de l'impôt contesté :

  • Juge Administratif (Tribunal Administratif -> CAA -> Conseil d'État) :
    • Impôts directs (IR, IS)
    • TVA et taxes assimilées
    • Impôts locaux (Taxe Foncière, Taxe d'Habitation, CET...)
    • CSG/CRDS (sur revenus du patrimoine/placements)
    Note: Ministère d'avocat non obligatoire en 1ère instance. Appel possible sauf pour impôts locaux (hors CET) où TA statue en 1er et dernier ressort (seul pourvoi en cassation possible).
  • Juge Judiciaire (Tribunal Judiciaire -> Cour d'Appel -> Cour de Cassation) :
    • Droits d'enregistrement, de timbre
    • Taxe de publicité foncière
    • Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI)
    • Contributions indirectes (droits d'accises...)
    Note: Ministère d'avocat non obligatoire en 1ère instance. Saisine par assignation.
  • Autres Influences :
    • Conseil Constitutionnel (via QPC soulevée devant JA ou JJ).
    • Cour de Justice de l'UE (via question préjudicielle sur interprétation droit UE).
    • Cour Européenne des Droits de l'Homme (si violation Conv. EDH).

b. Constructions Jurisprudentielles Particulières

Le contentieux fiscal est marqué par des règles spécifiques issues de la jurisprudence :

  • Substitution de Base Légale : (Déjà vue) Permet à l'admin de "sauver" un redressement en changeant son fondement juridique en cours d'instance. Limité par le respect des garanties de procédure attachées au nouveau fondement.
  • Compensation d'Assiette (Art. L. 80, L. 203 LPF) : Permet à l'administration (ou au contribuable) de compenser une surimposition constatée sur un point avec une insuffisance d'imposition découverte sur un autre point pour la même période et le même impôt, même si le délai de reprise est expiré pour l'insuffisance. Ne peut aboutir à une imposition supérieure à celle initialement contestée.
  • Droit à l'Erreur de l'Administration : Ces mécanismes montrent que l'administration bénéficie d'une certaine marge d'erreur dans la motivation initiale de ses actes.
Rôle de l'Avocat : Maîtriser la procédure (délais, réclamation préalable), la compétence juridictionnelle, les arguments de fond et les règles spécifiques (substitution, compensation) est essentiel pour défendre efficacement un contribuable.

Section 2 : Le Contentieux du Recouvrement

Ce contentieux porte non pas sur le montant de l'impôt, mais sur la régularité des actes de poursuite engagés par le comptable public pour obtenir le paiement forcé d'un impôt non réglé volontairement par le contribuable (après mise en demeure).

a. Moyens de Recouvrement Forcé de l'Administration

Le comptable public dispose de prérogatives exorbitantes :

  • Privilège Général du Trésor : Droit de préférence sur les meubles du contribuable.
  • Hypothèque Légale du Trésor : Sûreté sur les immeubles du contribuable.
  • Avis à Tiers Détenteur (ATD) : Procédure spécifique et très efficace permettant de saisir directement les sommes dues au contribuable par un tiers (ex: banque, employeur, locataire...).
  • Saisies de Droit Commun : Saisie sur salaires, saisie immobilière...

b. Voies de Recours : Opposition aux Poursuites (Art. R. 281-1 LPF)

  • Réclamation Préalable : Comme pour le contentieux de l'imposition, une réclamation préalable auprès de l'administration ayant engagé la poursuite est obligatoire avant de saisir le juge.
  • Motifs d'Opposition : Contestation de la régularité en la forme de l'acte de poursuite (ex: ATD mal notifié) OU contestation de l'obligation de payer elle-même (ex: existence d'un sursis, dette prescrite...).
  • Juge Compétent :
    • Juge Judiciaire (Juge de l'exécution) : Si la contestation porte uniquement sur la régularité formelle de l'acte de poursuite.
    • Juge de l'Impôt (Administratif ou Judiciaire selon l'impôt) : Si la contestation porte sur l'existence même de l'obligation de payer, sa quotité ou son exigibilité.

Section 3 : Le Contentieux de l'Excès de Pouvoir (REP)

Le Recours pour Excès de Pouvoir (REP) vise à obtenir l'annulation d'un acte administratif illégal. Son usage en matière fiscale est limité mais possible.

  • Objet : Annulation d'un acte administratif faisant grief (ex: circulaire interprétative illégale, refus de rescrit, décision de refus de remise gracieuse...).
  • Distinction : Ne vise pas à obtenir une décharge ou réduction d'impôt (contrairement au contentieux de l'imposition).
  • Conditions : Acte unilatéral faisant grief, recours dans les 2 mois devant le juge administratif (Conseil d'État pour actes réglementaires nationaux).
  • Limite : Principe de l'interdiction du recours parallèle : Le REP est irrecevable si le contribuable dispose d'une autre voie de recours efficace pour contester son imposition (c'est-à-dire le contentieux de l'imposition via réclamation préalable).
  • Cas d'Ouverture : Principalement contre les actes réglementaires (circulaires impératives) ou les actes dits "détachables" de la procédure d'imposition (ex: refus de remise gracieuse car le juge de l'impôt n'est pas compétent sur le gracieux).

Section 4 : Le Contentieux de la Responsabilité

Vise à obtenir réparation du préjudice subi par un contribuable du fait d'une faute commise par l'administration fiscale.

a. Régime de la Responsabilité

  • Évolution : Passage d'une exigence de faute lourde à une responsabilité pour faute simple depuis l'arrêt Krupa du Conseil d'État (CE, Sect., 21 mars 2011).
  • Conditions : Application du droit commun de la responsabilité (faute + préjudice + lien de causalité).

b. Conditions au Droit à Indemnisation

La jurisprudence a posé des limites strictes :

  • Le préjudice indemnisable doit être distinct du seul paiement de l'impôt (on ne peut pas être indemnisé juste parce qu'on n'a pas obtenu la décharge espérée).
  • Une décision administrative (ex: redressement) irrégulière en la forme mais justifiée au fond n'engage pas la responsabilité de l'administration.
  • Le fait du contribuable (manque de diligence, déclaration incomplète...) peut exonérer totalement ou partiellement l'administration.

c. Répartition de Compétence

  • Le juge compétent pour l'action en responsabilité est le même que celui compétent pour l'impôt qui est à l'origine du litige (dualité JA / JJ).
  • Cela peut entraîner une application différente des règles de responsabilité selon l'ordre de juridiction saisi (le juge judiciaire appliquant le Code civil, le juge administratif les principes de la responsabilité administrative).

Points Clés du Chapitre 2 (Partie 5)

Ce chapitre explore les différentes voies de contestation en matière fiscale :

  • Le contentieux de l'imposition (assiette) nécessite une réclamation administrative préalable obligatoire avant la saisine du juge (JA ou JJ selon l'impôt). Le sursis de paiement peut être demandé sous conditions.
  • Le contentieux du recouvrement (actes de poursuite) suit une logique similaire (opposition préalable) avec une compétence judiciaire principale pour la forme et celle du juge de l'impôt pour le fond.
  • Le recours pour excès de pouvoir a un champ limité en fiscalité (actes réglementaires, actes détachables).
  • La responsabilité de l'administration peut être engagée pour faute simple (depuis 2011), mais sous conditions strictes concernant le préjudice indemnisable.

Pour un futur avocat, la maîtrise de ces procédures contentieuses, des délais impératifs et de la répartition des compétences entre les ordres de juridiction est fondamentale pour défendre les intérêts des contribuables.