Le champ d'application du droit social Partie 1 - Chapitre 1

Ce chapitre introductif est fondamental car il délimite précisément le périmètre du droit social. Maîtriser son champ d'application permet d'identifier les situations où ses règles spécifiques, souvent protectrices du salarié, s'appliquent et celles qui relèvent d'autres branches du droit (droit civil, droit commercial, droit public).

Section 1: La définition du droit social

Comprendre ce qu'est le droit social nécessite d'en analyser les différentes composantes (A), de retracer brièvement son histoire (B) et d'examiner ses finalités actuelles (C).

A. Les composantes du droit social

Le terme "droit social" désigne l'ensemble des règles juridiques applicables aux relations de travail nées d'un contrat de travail, c'est-à-dire le travail effectué par un salarié sous l'autorité et pour le compte d'un employeur (travail subordonné privé).

  • Droit du travail : Cœur du droit social, il se subdivise en :
    • Relations individuelles : règles encadrant le contrat de travail (formation, exécution, rupture).
    • Relations collectives : rapports entre l'employeur et la collectivité des salariés (syndicats, représentation du personnel, négociation collective, conflits collectifs).
  • Droit de la protection sociale : Vise à protéger les individus contre les "risques sociaux" (maladie, vieillesse, chômage, accidents du travail, maternité...) en compensant la perte de revenus ou l'augmentation des charges. Il inclut :
    • La Sécurité Sociale (régimes de base et complémentaires obligatoires).
    • Les régimes complémentaires facultatifs (prévoyance, retraite supplémentaire).
    • L'assurance chômage.
    • L'aide sociale.
  • Autres composantes : Droit de l'emploi, droit pénal du travail, droit social international et européen.
Piège fréquent : Ne pas confondre "Droit Social" et "Droit du Travail". Le Droit du Travail est une composante majeure du Droit Social, mais ce dernier inclut aussi la Protection Sociale.

B. Quelques repères historiques

Le droit social est relativement récent et s'est construit progressivement pour encadrer les relations de travail issues de la révolution industrielle.

C. Les finalités du droit social

Historiquement, la finalité première était la protection du salarié, considéré comme la "partie faible" face à l'employeur, en raison du lien de subordination inhérent au contrat de travail. Le droit social visait à rééquilibrer cette relation.

Cependant, face à la montée du chômage depuis les années 70, les réformes récentes montrent une évolution des finalités. L'objectif affiché est davantage tourné vers la protection de l'emploi et la compétitivité des entreprises. Cela se traduit par une recherche de flexibilité accrue, notamment en donnant plus de place à la négociation collective, en particulier au niveau de l'entreprise.

Enjeu pratique : Cette tension entre protection du salarié et flexibilité/protection de l'emploi est au cœur de nombreux débats et contentieux en droit social. Un avocat doit comprendre ces deux logiques.

Section 2: La notion de contrat de travail et sa qualification

Le contrat de travail est la clé de voûte déterminant l'application du droit social. Sa définition est principalement jurisprudentielle (A), bien que le législateur intervienne parfois pour ajuster son périmètre (B).

A. Une notion d'origine jurisprudentielle

1. Les enjeux de la qualification

Qualifier une relation de "contrat de travail" est crucial car cela déclenche l'application de l'ensemble des règles protectrices du Code du travail :

  • Salaire minimum (SMIC), paiement des heures supplémentaires.
  • Limitation de la durée du travail, congés payés, repos obligatoires.
  • Règles protectrices en matière de rupture (licenciement).
  • Application du régime général de la Sécurité Sociale.
  • Compétence du Conseil de Prud'hommes en cas de litige individuel.

À l'inverse, une qualification de contrat d'entreprise, de mandat, ou de travail indépendant exclut l'application de ces règles.

2. La définition du contrat de travail et ses difficultés de mise en œuvre

Faute de définition légale, la jurisprudence a défini le contrat de travail comme :

La convention par laquelle une personne s'engage à mettre son activité à la disposition d'une autre sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant rémunération. (Jurisprudence constante depuis 1954)

Trois critères cumulatifs se dégagent :

  1. Une prestation de travail : Accomplissement d'une tâche pour autrui.
  2. Une rémunération : Contrepartie de la prestation.
  3. Un lien de subordination juridique : Le critère décisif et le plus débattu.

Le lien de subordination juridique est caractérisé par :

L'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. (Cass. Soc., 13 nov. 1996, n° 94-13187, Société Générale)

Points Clés sur la Qualification :

  • Indisponibilité de la qualification : Le juge n'est pas lié par la dénomination donnée au contrat par les parties ("contrat de prestation de service", "contrat de partenariat", etc.). Il recherche la réalité de la relation de travail.
  • Méthode du faisceau d'indices : Le juge examine les conditions de fait concrètes pour identifier les indices de subordination :
    • Intégration dans un service organisé.
    • Respect d'horaires et de lieu de travail imposés.
    • Fourniture du matériel par l'employeur.
    • Contrôle de l'activité et reporting.
    • Existence d'un pouvoir disciplinaire.
Piège fréquent : Croire que l'absence d'un seul indice (ex: liberté d'horaires) suffit à écarter la subordination. C'est l'analyse globale du faisceau d'indices qui prime.

Difficultés et Cas Limites : La qualification est parfois délicate.

  • Stagiaires : Un stage détourné (exécution de tâches normales sans formation réelle) peut être requalifié en contrat de travail (Cass. Soc., 14 janv. 2013).
  • Téléréalité : Les participants peuvent être considérés comme salariés (Cass. Soc., 3 juin 2009, Île de la Tentation).
  • Travailleurs de plateformes : Contentieux important (Uber, Deliveroo...). La Cour de cassation a admis la requalification si la plateforme exerce un contrôle étroit via la technologie (géolocalisation, notation, sanctions) (Cass. Soc., 28 nov. 2018, n° 17-20079, Take Eat Easy). L'analyse reste au cas par cas.

3. La théorie des co-employeurs

Il est possible qu'un salarié soit lié non seulement à son employeur contractuel mais aussi à un ou plusieurs autres "co-employeurs".

  • Co-emploi par subordination directe : Un tiers (ex: société mère) donne aussi des ordres directs au salarié de la filiale.
  • Co-emploi dans les groupes (sans subordination directe) : Permet d'impliquer la société mère (souvent plus solvable) dans les obligations de la filiale (ex: PSE). Conditions strictes posées par la jurisprudence (avant Ordonnances Macron) : démonstration d'une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion anormale de la mère dans la gestion économique et sociale de la filiale. Cette condition est difficile à prouver et rarement retenue.
Point d'attention avocat : La reconnaissance du co-emploi est un enjeu stratégique majeur dans les contentieux de groupe, mais sa démonstration est exigeante.

B. Les aménagements législatifs modifiant le domaine du droit social

Le législateur intervient parfois pour étendre ou restreindre le champ "naturel" du droit social défini par la jurisprudence.

1. L'extension du champ d'application

  • Présomption simple de salariat : Pour certaines professions où la subordination est difficile à prouver (ex: VRP multicartes (L. 7313-1 CGI), travailleurs à domicile (L. 7412-1 C. trav.), journalistes professionnels (L. 7112-1 C. trav.), artistes du spectacle...). La présomption peut être renversée si l'indépendance est prouvée.
  • Application ciblée de règles : Certaines règles du Code du travail sont étendues à des non-salariés (ex: gérants de succursales (L. 7321-1 C. trav.)).

2. La limitation du champ d'application

  • Présomption simple de non-salariat (Art. L. 8221-6 C. trav.) : Pour les personnes immatriculées (RCS, Répertoire des Métiers, URSSAF indépendant...).
    Portée limitée : Cette présomption est facilement renversable par la preuve d'un "lien de subordination juridique permanent". Elle vise surtout à lutter contre le travail dissimulé par fausse indépendance.
  • Travailleurs de plateformes (Loi El Khomri 2016, Loi Avenir Pro 2018, Ordonnance 2021) : Création d'une "responsabilité sociale" des plateformes (prise en charge accidents travail, formation, droit à la déconnexion) et reconnaissance de droits collectifs (syndicat, action collective), SANS pour autant les qualifier de salariés. La requalification par le juge reste possible au cas par cas si les critères de la subordination sont réunis.

Section 3: Les personnes exclues du champ d'application du droit social

Par définition, le droit social (au sens droit du travail) ne s'applique pas :

  • Aux travailleurs indépendants (artisans, commerçants, professions libérales...), sauf requalification en salariat déguisé ("faux indépendant").
  • Aux fonctionnaires (État, Territoriale, Hospitalière), qui relèvent de statuts de droit public spécifiques.
  • Aux agents contractuels de droit public, régis par des règles de droit public (même si des renvois ponctuels au Code du travail existent, notamment en santé/sécurité).

Cas particulier : Les personnels des entreprises à statut (ex: SNCF avant réforme, EDF...) combinent souvent un contrat de travail de droit privé avec des règles issues d'un statut particulier.