Les différents contrats de travail Partie 2 - Chapitre 1

Après avoir défini le champ d'application du droit social autour de la notion de travail subordonné et du contrat de travail, cette partie explore les relations individuelles qui naissent de ce contrat. Ce premier chapitre se concentre sur la diversité des formes contractuelles. Si le Contrat à Durée Indéterminée (CDI) est la norme, de nombreuses exceptions existent, encadrées strictement par la loi pour éviter la précarisation abusive. Maîtriser ces distinctions est crucial pour sécuriser les relations de travail et prévenir les contentieux liés à la requalification.

Section 1: Le Contrat à Durée Indéterminée (CDI) - La Forme Normale

Le Code du travail, dans son article L. 1221-2, affirme clairement que le CDI est "la forme normale et générale de la relation de travail". Ce principe fondamental irrigue tout le droit du travail français.

  • Définition : Le CDI est un contrat conclu sans limitation de durée. Il n'a pas de terme prédéfini et ne peut être rompu que par des modes spécifiques (licenciement, démission, rupture conventionnelle, mise à la retraite, force majeure), étudiés en détail dans la Partie 4.
  • Absence de Formalisme : Sauf disposition conventionnelle contraire ou cas particuliers (e.g., CDI à temps partiel), le CDI n'exige pas d'écrit pour être valable. Un accord verbal suffit, bien qu'un écrit soit fortement recommandé pour des raisons probatoires et pour préciser les éléments essentiels (rémunération, qualification, lieu, durée du travail...).
  • Avantages : Il offre la plus grande stabilité et sécurité de l'emploi pour le salarié.
  • Inconvénients (pour l'employeur) : Moins de flexibilité que les contrats précaires ; les modes de rupture sont strictement encadrés et potentiellement coûteux.
Piège fréquent : L'absence d'écrit ne signifie pas absence de contrat. Une relation de travail subordonnée et rémunérée sans écrit sera toujours présumée être un CDI. C'est à celui qui invoque une autre forme de contrat (CDD, intérim) d'en rapporter la preuve écrite et de justifier du respect des conditions légales de recours.

Le CDI étant la règle, les autres formes de contrats que nous allons étudier sont des exceptions dont le recours doit être justifié et limité.

Section 2: Le Contrat à Durée Déterminée (CDD) - L'Exception Encadrée

Le Contrat à Durée Déterminée (CDD), régi par les articles L. 1241-1 et suivants du Code du travail, constitue une exception majeure au principe du CDI. Son recours est strictement limité par la loi à l'exécution d'une tâche précise et temporaire et il ne doit jamais avoir pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise (L. 1242-1). La violation de ces règles entraîne des sanctions sévères, notamment la requalification en CDI.

A. Les cas de recours au CDD

La loi énumère limitativement les situations autorisant le recours au CDD (L. 1242-2), tout en interdisant explicitement son usage dans certains contextes (L. 1242-5, L. 1242-6).

1. Les cas de recours autorisés

  • Remplacement d'un salarié absent : C'est un cas très fréquent (maladie, congés payés, congé maternité/paternité, formation, attente de l'entrée en service d'un salarié recruté en CDI, départ définitif précédant la suppression du poste). Le nom et la qualification du salarié remplacé doivent être mentionnés (L. 1242-12). Exemple : Remplacer Mme Dupont, comptable, pendant son congé maternité.
  • Accroissement temporaire de l'activité : Augmentation ponctuelle et non durable de la charge de travail habituelle (commande exceptionnelle, lancement d'un nouveau produit, travaux urgents liés à la sécurité). L'employeur doit pouvoir justifier du caractère temporaire. Exemple : Embaucher des préparateurs de commandes supplémentaires avant les fêtes de fin d'année.
  • Emplois à caractère saisonnier : Travaux appelés à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs (L. 1242-2, 3°). Concerne principalement l'agriculture, le tourisme, l'agroalimentaire. Exemple : Moniteur de ski en hiver, vendangeur en automne.
    Point Avocat - Saisonnier vs Permanent : La répétition d'un contrat saisonnier avec le même salarié sur plusieurs années ne le transforme pas automatiquement en CDI, mais une requalification est possible si l'emploi correspond en réalité à un besoin permanent de l'entreprise (ex: un hôtel ouvert toute l'année employant systématiquement la même personne en CDD saisonnier chaque été). La jurisprudence examine la réalité de l'activité. (cf. Cass. Soc., 12 oct. 1999 sur la nécessité de tâches réellement saisonnières).
  • Emplois pour lesquels il est d'usage constant de ne pas recourir au CDI ("CDD d'usage") : Dans certains secteurs limitativement énumérés par décret (D. 1242-1) ou convention collective étendue (hôtellerie-restauration, spectacle, audiovisuel, déménagement, enseignement, sport professionnel...). Exemple : Serveur extra dans un restaurant, comédien pour une pièce de théâtre, formateur occasionnel.
    Piège fréquent - CDD d'usage : L'appartenance au secteur d'activité listé ne suffit pas. Il faut aussi que l'emploi spécifique soit par nature temporaire et que le recours au CDD soit justifié par des raisons objectives (Cass. Soc., 23 janv. 2008, n°06-43.040). L'employeur ne peut utiliser le CDD d'usage pour pourvoir un poste permanent (ex: un réceptionniste permanent dans un hôtel). De plus, les règles sur le délai de carence et l'indemnité de précarité ne s'appliquent pas au CDD d'usage, le rendant attractif mais risqué si mal utilisé.
  • Autres cas spécifiques : CDD conclus dans le cadre de la politique de l'emploi (contrats aidés), CDD à objet défini (L. 1242-2, 6° - pour ingénieurs/cadres, si accord collectif), remplacement d'un chef d'entreprise, etc.

2. Les cas de recours interdits

  • Remplacement d'un salarié gréviste (L. 1242-6, 1°) : Interdiction absolue pour ne pas entraver le droit de grève.
  • Travaux particulièrement dangereux (L. 1242-6, 2°) : Liste fixée par arrêté (exposition à certains agents chimiques...).
  • Licenciement économique récent (L. 1242-5) : Interdit de recourir à un CDD pour accroissement temporaire d'activité dans les 6 mois suivant un licenciement économique sur le poste concerné (sauf exceptions : commande exceptionnelle à l'exportation, contrat de courte durée non susceptible de renouvellement).
  • Pourvoir durablement un emploi permanent : Interdiction générale rappelée par L. 1242-1. C'est le motif de requalification le plus fréquent.

B. La succession de CDD

Pour éviter le recours abusif aux CDD, la loi encadre leur succession sur un même poste ou avec un même salarié.

1. Succession de CDD sur le même poste

Lorsqu'un CDD prend fin, l'employeur ne peut recourir à un nouveau CDD (ou à un contrat de travail temporaire) sur le même poste avant l'expiration d'un délai de carence (L. 1244-3). Ce délai vise à empêcher qu'un poste permanent soit occupé en continu par une succession de contrats précaires.

  • Calcul du délai :
    • Tiers de la durée du contrat venu à expiration (renouvellement inclus) si durée ≥ 14 jours.
    • Moitié de la durée du contrat venu à expiration (renouvellement inclus) si durée < 14 jours.
    • Les jours calendaires sont pris en compte.
    Exemple : Après un CDD de 3 mois (env. 90 jours), le délai de carence est d'1 mois (90/3). Après un CDD de 10 jours, le délai est de 5 jours (10/2).
  • Assouplissement par accord de branche : Une convention ou un accord de branche étendu peut fixer des modalités de calcul différentes ou prévoir des cas où le délai de carence ne s'applique pas (L. 1244-3, L. 1244-4 - Ordonnances Macron).
  • Exceptions légales au délai de carence (L. 1244-4-1) : Le délai ne s'applique pas notamment en cas de nouvelle absence du salarié remplacé, travaux urgents liés à la sécurité, emplois saisonniers ou d'usage, rupture anticipée du fait du salarié, refus par le salarié du renouvellement.
Point Avocat - Contournement du délai : Vérifier si l'employeur ne tente pas de contourner le délai en modifiant artificiellement l'intitulé du poste alors que les tâches restent identiques. Le juge examine la réalité du poste occupé. Le non-respect du délai entraîne la requalification du second contrat en CDI dès son premier jour.

2. Succession de CDD avec le même salarié

La conclusion de CDD successifs avec le même salarié, même sur des postes différents, est possible mais encadrée pour éviter de maintenir un salarié dans la précarité (L. 1244-1).

  • Principe : Possible si chaque contrat successif respecte les conditions de recours et de forme du CDD.
  • Exceptions spécifiques permettant la succession immédiate : Remplacement de salariés absents successivement, emplois saisonniers, emplois d'usage.
  • Risque de requalification : Si la succession de contrats révèle un besoin structurel et permanent de main-d'œuvre, la relation peut être requalifiée en CDI, même si chaque CDD pris isolément semblait licite. Le juge apprécie la situation globale.

C. La forme et le contenu du CDD

Contrairement au CDI, le CDD est un contrat formaliste.

  • Exigence d'un écrit : Le CDD doit obligatoirement être établi par écrit (L. 1242-12).
  • Transmission au salarié : L'écrit doit être transmis au salarié au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant l'embauche (L. 1242-13).
    Sanction de l'absence d'écrit / transmission tardive :
    • Absence d'écrit : Entraîne la requalification automatique du contrat en CDI (L. 1245-1). C'est une sanction très forte.
    • Transmission tardive (au-delà de 2 jours) : Ne provoque plus la requalification automatique depuis les ordonnances Macron. Le salarié a droit à une indemnité maximale d'un mois de salaire (L. 1245-1), mais le contrat reste un CDD (sauf si d'autres irrégularités existent). C'est un changement majeur par rapport au droit antérieur.
  • Mentions obligatoires (L. 1242-12) :
    • Motif précis du recours au CDD (la simple mention de l'article de loi ne suffit pas).
    • En cas de remplacement : nom et qualification du salarié remplacé.
    • Date du terme (pour les CDD à terme précis) OU durée minimale (pour les CDD à terme imprécis).
    • Clause de renouvellement si envisagée.
    • Désignation du poste de travail.
    • Intitulé de la convention collective applicable.
    • Durée de la période d'essai éventuelle.
    • Montant de la rémunération et ses composantes.
    • Nom et adresse de la caisse de retraite complémentaire et de l'organisme de prévoyance.
  • Sanction de l'omission de certaines mentions : L'absence de mention du motif précis, du terme/durée minimale, ou du nom/qualification en cas de remplacement entraîne la requalification en CDI (L. 1245-1). L'omission d'autres mentions (rémunération, convention collective...) ouvre droit à des dommages et intérêts mais pas à la requalification.

D. La durée du CDD

Le CDD comporte par définition un terme. Celui-ci peut être précis ou imprécis.

1. Le CDD à terme précis

  • Définition : Le contrat fixe une date de fin précise (ex: "du 1er juin au 31 août").
  • Durée maximale : En principe, la durée totale, renouvellement inclus, ne peut excéder 18 mois (L. 1242-8).
  • Exceptions à la durée maximale :
    • 9 mois : Attente de l'entrée en service d'un CDI, travaux urgents de sécurité.
    • 24 mois : Contrat exécuté à l'étranger, départ définitif précédant la suppression du poste, commande exceptionnelle à l'exportation.
    • 36 mois : CDD senior, CDD à objet défini.
    • Durée du cycle de formation : Contrat d'apprentissage ou de professionnalisation.
    (Voir L. 1242-8-1 pour les détails).
  • Adaptation par accord de branche : Une convention ou un accord de branche étendu peut fixer une durée maximale différente (plus courte ou plus longue) (L. 1242-8 - Ordonnances Macron).
  • Renouvellement :
    • Le CDD à terme précis peut être renouvelé deux fois maximum, pour une durée déterminée (L. 1243-13-1).
    • La durée totale (contrat initial + renouvellements) ne doit pas dépasser la durée maximale autorisée (18 mois ou autre limite applicable).
    • Les conditions de renouvellement doivent être prévues dans le contrat initial ou faire l'objet d'un avenant avant le terme initial (L. 1243-13).
    • Adaptation par accord de branche : Une convention ou un accord de branche étendu peut fixer un nombre de renouvellements différent (L. 1243-13-1 - Ordonnances Macron).

2. Le CDD à terme imprécis (ou sans terme précis)

  • Définition : Le contrat n'a pas de date de fin exacte mais prend fin lorsque l'objet pour lequel il a été conclu se réalise (L. 1242-7).
  • Cas de recours possibles : Remplacement d'un salarié absent, attente de l'entrée en service d'un CDI, emplois saisonniers, emplois d'usage. Exclu pour l'accroissement temporaire d'activité.
  • Terme : Le contrat prend fin au retour du salarié remplacé, à la réalisation de l'objet (fin de saison, fin du projet pour CDD d'usage).
  • Durée minimale obligatoire : Le contrat doit comporter une durée minimale (ex: "pour remplacer Mme X pendant son arrêt maladie, avec une durée minimale de 1 mois"). Cette durée garantit une période d'emploi au salarié même si l'événement (le retour) survient plus tôt. Elle sert aussi de base pour calculer la période d'essai. L'absence de mention de la durée minimale entraîne la requalification en CDI (L. 1245-1).
  • Pas de durée maximale légale : Le contrat dure tant que l'objet n'est pas réalisé.
  • Pas de renouvellement possible : Par nature, ce type de contrat n'est pas renouvelable.

E. La requalification du CDD en CDI

Sanction majeure du non-respect des règles encadrant le CDD, la requalification transforme le contrat précaire en contrat à durée indéterminée (L. 1245-1, L. 1245-2).

1. Cas entraînant la requalification (L. 1245-1)

  • Non-respect des cas de recours autorisés (ou recours à un cas interdit).
  • Utilisation du CDD pour pourvoir un emploi permanent.
  • Absence d'écrit.
  • Absence de mention obligatoire entraînant la requalification (motif, terme/durée minimale, nom/qualif si remplacement).
  • Non-respect des règles de succession (délai de carence).
  • Non-respect des durées maximales (durée initiale ou totale après renouvellement).
  • Poursuite de la relation de travail après l'échéance du terme du CDD (requalification automatique - L. 1243-11).

2. Procédure et Effets

  • Qui peut demander ? Seul le salarié peut demander la requalification devant le Conseil de Prud'hommes. L'employeur ne peut s'en prévaloir, le juge non plus d'office.
  • Délai : L'action se prescrit par 2 ans à compter du terme du dernier contrat irrégulier.
  • Effets :
    • Le contrat est réputé être un CDI depuis le premier jour du premier contrat irrégulier.
    • Le salarié conserve son ancienneté depuis cette date.
    • Il a droit à une indemnité de requalification d'un montant minimal d'un mois de salaire (L. 1245-2), qui se cumule avec les autres indemnités éventuelles. Cette indemnité n'est pas due si le contrat s'est poursuivi en CDI après le terme.
    • Si le contrat a été rompu entre-temps, cette rupture s'analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse (ou nul si applicable), ouvrant droit aux indemnités correspondantes (indemnité de licenciement, préavis, dommages-intérêts selon le barème Macron ou pour nullité).
Point Avocat - Stratégie contentieuse : La requalification est une arme puissante pour le salarié. Il faut identifier précisément la ou les irrégularités (forme, motif, succession...) et chiffrer toutes les conséquences financières (indemnité de requalification, rappel d'ancienneté, indemnités de rupture de CDI). Attention au délai de prescription.

F. La rupture du CDD

La rupture du CDD est également strictement encadrée, que ce soit à l'échéance normale ou de façon anticipée.

1. La rupture à l'échéance du terme

  • Principe : Le CDD cesse automatiquement à la date prévue (terme précis) ou à la réalisation de l'objet (terme imprécis). Aucune procédure particulière n'est requise.
  • Poursuite après le terme : Si la relation de travail continue après le terme sans nouvel écrit, le contrat est requalifié en CDI (L. 1243-11).
  • Indemnité de fin de contrat (dite "de précarité") :
    • Objet : Compenser la précarité de la situation du salarié (L. 1243-8).
    • Montant : En principe, 10% de la rémunération totale brute versée pendant toute la durée du contrat (renouvellement inclus).
    • Réduction possible : Une convention ou un accord collectif de branche étendu ou d'entreprise peut limiter ce taux à 6% s'il prévoit des contreparties pour le salarié (accès privilégié à la formation professionnelle - L. 1243-9).
    • Cas où elle n'est pas due (L. 1243-10) :
      • Emplois saisonniers ou d'usage (sauf si convention collective plus favorable).
      • CDD conclus avec un jeune pendant ses vacances scolaires/universitaires.
      • Salarié refusant un CDI proposé par l'employeur pour occuper le même emploi ou un emploi similaire, avec une rémunération au moins équivalente.
      • Rupture anticipée pour faute grave ou lourde du salarié, force majeure, ou à l'initiative du salarié justifiant d'un CDI ailleurs.
      • Contrats aidés spécifiques (CUI, apprentissage...).

2. La rupture anticipée du CDD

En dehors de la période d'essai, le CDD ne peut être rompu avant son terme que dans des cas limitativement énumérés par la loi (L. 1243-1, L. 1243-2). La rupture hors de ces cas est irrégulière et lourdement sanctionnée.

  • Cas autorisés :
    • Accord des parties : Rupture amiable constatée par écrit.
    • Faute grave (ou lourde) du salarié : Faute rendant impossible le maintien du salarié (cf. Partie 4, Chapitre 2). La faute simple ne suffit pas.
    • Force majeure : Événement extérieur, imprévisible et irrésistible rendant impossible la poursuite du contrat (très rare en pratique, les difficultés économiques ne suffisent pas).
    • Inaptitude constatée par le médecin du travail : Si le reclassement est impossible ou refusé (L. 1226-4-3 pour inaptitude non pro, L. 1226-20 pour inaptitude pro).
    • Initiative du salarié justifiant d'une embauche en CDI ailleurs : Le salarié doit prouver l'embauche et respecter un préavis (1 jour par semaine de contrat, max 2 semaines - L. 1243-2).
  • Sanctions de la rupture anticipée irrégulière :
    • Par l'employeur : Doit verser au salarié des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme initial du contrat (L. 1243-4). S'y ajoute l'indemnité de précarité (sauf si rupture pour faute grave/lourde ou force majeure).
    • Par le salarié (hors cas CDI ailleurs) : Peut être condamné à verser à l'employeur des dommages et intérêts correspondant au préjudice subi par l'entreprise (L. 1243-3).
Point Avocat - Rupture anticipée : La rupture anticipée d'un CDD est très risquée pour l'employeur hors des cas légaux. La sanction (payer les salaires restants dus) peut être très lourde. Pour le salarié, rompre hors du cas du CDI ailleurs l'expose aussi à des dommages-intérêts, bien que souvent difficiles à chiffrer pour l'employeur.

Section 3: Les Relations Triangulaires - Le Travail Temporaire (Intérim)

Le travail temporaire, ou intérim (L. 1251-1 et suivants), est une autre forme majeure de travail précaire, caractérisée par une relation triangulaire impliquant trois acteurs :

  • L'Entreprise de Travail Temporaire (ETT) : L'employeur juridique du salarié.
  • L'Entreprise Utilisatrice (EU) : L'entreprise où le salarié effectue sa mission.
  • Le Salarié Intérimaire : Lié par un contrat de travail à l'ETT.

Cette structure déroge au principe d'interdiction du prêt de main-d'œuvre à but lucratif (L. 8241-1) et du marchandage (L. 8231-1).

A. Régime Juridique du Contrat de Mission

Le contrat de mission liant l'ETT et le salarié suit un régime très largement calqué sur celui du CDD :

  • Cas de recours : Identiques à ceux du CDD (L. 1251-6 reprenant L. 1242-2). Interdictions identiques (grève, travaux dangereux, licenciement économique récent - L. 1251-9, L. 1251-10).
  • Forme : Contrat écrit obligatoire, transmis au salarié au plus tard dans les 2 jours ouvrables suivant la mise à disposition (L. 1251-16, L. 1251-17). Sanctions similaires à celles du CDD pour absence d'écrit (requalification en CDI avec l'ETT) ou transmission tardive (indemnité). Mentions obligatoires spécifiques (qualification, rémunération, lieu/horaires mission, mention que l'embauche n'est pas exclue après la mission...).
  • Durée : Terme précis ou imprécis. Durée maximale de principe : 18 mois (mission initiale + renouvellements) (L. 1251-12). Exceptions similaires au CDD (L. 1251-12-1). Possibilité d'aménagement du terme initial ("souplesse") par accord ou si prévu au contrat (L. 1251-30).
  • Renouvellement : Possible 2 fois, dans la limite de la durée maximale (L. 1251-35-1). Conditions similaires au CDD.
  • Succession de contrats / Délai de carence : Règles identiques à celles du CDD pour la succession sur le même poste (délai de carence) ou avec le même salarié (L. 1251-36, L. 1251-36-1, L. 1251-37).
  • Période d'essai : Possible, mais plus courte que pour un CDD de durée équivalente (L. 1251-14).
  • Indemnité de fin de mission (IFM) : Équivalente à l'indemnité de précarité du CDD (10% de la rémunération brute totale), avec les mêmes cas d'exclusion (L. 1251-32, L. 1251-33). S'y ajoute l'indemnité compensatrice de congés payés (10% également).
  • Adaptations par accord de branche étendu de l'EU : Similaires à celles possibles pour le CDD (durée max, renouvellements, délai de carence - L. 1251-12, L. 1251-35-1, L. 1251-36).

B. L'exécution de la mission

  • Rémunération : Principe d'égalité de traitement (L. 1251-18). Le salarié intérimaire doit percevoir une rémunération au moins égale à celle que percevrait, après période d'essai, un salarié permanent de l'EU, de qualification équivalente et occupant le même poste. Cela inclut le salaire de base et tous les accessoires (primes, avantages...).
  • Conditions de travail : Pendant la mission, l'EU est responsable des conditions d'exécution du travail relatives à la durée du travail, travail de nuit, repos, jours fériés, santé et sécurité (L. 1251-21). Les équipements de protection individuelle sont fournis par l'EU (L. 1251-23).
  • Accès aux équipements collectifs : Le salarié intérimaire a accès aux installations collectives de l'EU (transport, restauration, douches...) dans les mêmes conditions que les salariés permanents (L. 1251-24).
  • Droits collectifs : Les intérimaires sont électeurs et éligibles aux élections du CSE de l'ETT (sous conditions d'ancienneté). Ils sont pris en compte dans l'effectif de l'EU au prorata de leur temps de présence sur les 12 derniers mois (L. 1111-2), sauf s'ils remplacent un salarié absent.

C. La rupture anticipée du contrat de mission

La rupture avant terme est possible dans des cas limités (L. 1251-26 et suivants).

  • Cas autorisés : Accord des parties, faute grave (ou lourde) du salarié, force majeure, embauche du salarié en CDI par l'EU (L. 1251-28 - cas spécifique à l'intérim), embauche en CDI ailleurs (avec préavis). L'inaptitude n'est pas un cas direct de rupture anticipée de la mission mais peut conduire à une rupture du contrat avec l'ETT si aucun reclassement/nouvelle mission n'est possible.
  • Rupture par l'ETT (hors faute grave/force majeure) : L'ETT doit proposer au salarié une nouvelle mission compatible dans les 3 jours ouvrables. À défaut, elle doit lui verser les rémunérations jusqu'au terme initialement prévu + IFM (L. 1251-26).
  • Rupture par le salarié (hors CDI) : Peut être condamné à des dommages-intérêts envers l'ETT pour le préjudice subi (L. 1251-28).

D. La requalification du contrat de mission en CDI

Comme le CDD, le contrat de mission peut être requalifié en CDI en cas d'irrégularités (L. 1251-39 à L. 1251-41).

  • Cas entraînant la requalification : Essentiellement les mêmes que pour le CDD (non-respect des cas de recours, pourvoi d'un emploi permanent, non-respect délai carence/durée max, absence d'écrit...).
  • Avec qui ? La requalification se fait avec l'Entreprise Utilisatrice (EU) si l'irrégularité lui est imputable (ex: recours hors cas autorisés, dépassement durée max, non-respect délai carence). Elle se fait avec l'Entreprise de Travail Temporaire (ETT) si l'irrégularité vient d'elle (ex: absence de contrat écrit, mention erronée).
  • Effets : Similaires à la requalification du CDD (requalification depuis le 1er jour, ancienneté, indemnité de requalification d'un mois de salaire minimum, conséquences d'un licenciement injustifié si rupture).
Point Avocat - Requalification Intérim : Identifier l'auteur de l'irrégularité est crucial pour savoir contre qui diriger l'action en requalification (EU ou ETT). Les conséquences financières peuvent être importantes pour l'EU si elle est jugée être le véritable employeur depuis l'origine.

Section 4: Aperçu des Autres Contrats Spécifiques

Au-delà du CDI, du CDD classique et de l'intérim, le droit social français connaît une variété d'autres contrats, souvent conçus pour des situations ou des publics particuliers. Leur régime déroge parfois aux règles générales.

  • CDD à objet défini (L. 1242-2, 6°) : Réservé aux ingénieurs et cadres pour une mission spécifique. Durée entre 18 et 36 mois. Rupture possible par l'une ou l'autre partie pour motif réel et sérieux après 18 mois, puis à chaque date anniversaire. Nécessite un accord de branche ou d'entreprise.
  • Contrats aidés (politique de l'emploi) :
    • Contrat d'Apprentissage (L. 6221-1 s.) : Formation initiale en alternance pour les jeunes (principalement 16-29 ans). Peut être un CDD ou un CDI. Régime spécifique (rémunération, rupture...).
    • Contrat de Professionnalisation (L. 6325-1 s.) : Formation continue en alternance. CDD ou CDI. Vise l'insertion ou la réinsertion professionnelle.
    • Contrat Unique d'Insertion (CUI-CAE / CUI-CIE) : Vise les personnes éloignées de l'emploi. Combine travail et accompagnement/formation. Implique des aides pour l'employeur.
  • CDI de chantier ou d'opération (L. 1223-8 s.) : CDI dont la fin est liée à l'achèvement d'un chantier ou d'une opération précis. La fin du chantier constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement spécifique (procédure de licenciement personnel). Son usage a été étendu par les ordonnances Macron via accord de branche.
  • CDI intérimaire (L. 1251-58-1 s.) : CDI conclu entre une ETT et un salarié, qui alterne missions dans des EU et périodes d'intermission (rémunérées par l'ETT). Vise à sécuriser le parcours des intérimaires.
  • Travail à temps partagé (L. 1252-1 s.) : Une entreprise de travail à temps partagé met ses salariés (en CDI) à disposition de plusieurs entreprises clientes pour des missions ponctuelles ou régulières.
  • Groupement d'employeurs (L. 1253-1 s.) : Structure permettant à plusieurs entreprises de partager du personnel qu'elles ne pourraient embaucher seules à temps plein. Le salarié est employé par le groupement mais travaille pour les entreprises membres.
  • Portage salarial (L. 1254-1 s.) : Relation triangulaire où un professionnel autonome ("porté") confie la gestion administrative de son activité à une entreprise de portage, qui facture ses clients et lui verse un salaire. Le porté reste autonome dans sa prospection et l'exécution de ses missions.
Attention aux régimes dérogatoires : Chaque contrat spécifique a ses propres règles (durée, motif, rupture, indemnités...). Il est impératif de consulter les textes spécifiques et la convention collective applicable avant de conclure ou de rompre un tel contrat.