Les pouvoirs de l'employeur et les droits des salariés Partie 3 - Chapitre 1
L'exécution du contrat de travail est une phase dynamique où interagissent les prérogatives de l'employeur, nécessaires à la bonne marche de l'entreprise, et les droits fondamentaux du salarié, qui ne disparaissent pas aux portes de l'entreprise[cite: 735]. Ce chapitre explore cet équilibre complexe en détaillant d'abord les pouvoirs de l'employeur (Section 1), puis les droits et libertés des salariés (Section 2), et enfin l'obligation essentielle de garantir la santé et la sécurité des travailleurs (Section 3).
Section 1: Les Pouvoirs de l'Employeur
Issus du lien de subordination inhérent au contrat de travail[cite: 674], les pouvoirs de l'employeur lui permettent de diriger l'activité, d'organiser le travail et d'assurer la discipline au sein de l'entreprise.
A. Le Pouvoir Réglementaire : L'Organisation Collective du Travail
L'employeur peut édicter des normes générales et impersonnelles applicables à l'ensemble ou une partie du personnel[cite: 675]. La manifestation la plus formalisée de ce pouvoir est le Règlement Intérieur[cite: 676].
1. Le Règlement Intérieur (L. 1321-1 et s.
)
- Obligation : Établissement obligatoire dans les entreprises ou établissements employant habituellement au moins 50 salariés (seuil relevé par ordonnances Macron, anciennement 20)[cite: 678].
- Procédure d'Adoption[cite: 677, 679, 680, 681]:
- Rédaction par l'employeur.
- Consultation du Comité Social et Économique (CSE) pour avis.
- Communication à l'inspecteur du travail (qui contrôle sa légalité).
- Dépôt au greffe du Conseil de Prud'hommes.
- Affichage dans l'entreprise et/ou diffusion par tout moyen aux salariés.
- Contenu Strictement Limité (
L. 1321-1
)[cite: 683]: Le règlement intérieur ne peut contenir QUE :- Des mesures d'application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l'entreprise[cite: 684].
- Les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l'employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices (si danger).
- Les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur[cite: 685]. Une sanction non prévue au règlement ne peut être appliquée (sauf licenciement)[cite: 686].
- Les dispositions relatives aux droits de la défense des salariés (procédure disciplinaire).
- Les dispositions relatives aux harcèlements moral et sexuel et aux agissements sexistes (
L. 1152-1
,L. 1153-1
,L. 1142-2-1
)[cite: 686, 687, 692].
- Limites et Contrôle[cite: 695, 699, 700, 701, 702, 703]:
- Les clauses ne doivent pas apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions injustifiées par la nature de la tâche à accomplir ni disproportionnées au but recherché (
L. 1321-3
). Ex: test d'alcoolémie limité aux postes à risque[cite: 696]. - Possibilité d'inscrire un principe de neutralité (restrictions à la manifestation des convictions), mais sous conditions strictes de justification et de proportionnalité (
L. 1321-2-1
)[cite: 698]. - Contrôle de légalité par l'inspecteur du travail (peut exiger retrait/modification) et, par voie d'exception, par le juge judiciaire (CPH) ou administratif (si contestation décision inspecteur).
- Les clauses ne doivent pas apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions injustifiées par la nature de la tâche à accomplir ni disproportionnées au but recherché (
B. Le Pouvoir Disciplinaire : Sanctionner les Fautes
L'employeur a le pouvoir de sanctionner les agissements du salarié considérés comme fautifs[cite: 704]. Ce pouvoir est encadré par des garanties de fond et de procédure.
1. La Faute et la Sanction
- Notion de Faute (
L. 1331-1
)[cite: 707]: Tout agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif[cite: 707]. La faute résulte généralement d'un manquement aux obligations contractuelles ou aux règles de l'entreprise (règlement intérieur)[cite: 709]. C'est le juge qui apprécie in fine si le comportement était réellement fautif[cite: 708]. - Niveaux de Faute (Construction jurisprudentielle)[cite: 710]:
- Faute légère : Ne justifie pas une sanction lourde, souvent un simple rappel à l'ordre verbal (non considéré comme sanction).
- Faute simple (ou sérieuse) : Justifie une sanction (avertissement, mise à pied...) voire un licenciement pour cause réelle et sérieuse.
- Faute grave : Faute d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant le préavis. Entraîne la perte du préavis et de l'indemnité de licenciement. Ex: vol, insubordination caractérisée, violences...
- Faute lourde : Faute commise avec l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise. Conséquences identiques à la faute grave + engagement possible de la responsabilité civile du salarié. Très difficile à prouver.
- Notion de Sanction (
L. 1331-1
)[cite: 711]: Toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur suite à un agissement fautif, de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération[cite: 711]. - Échelle des Sanctions (Doit figurer au Règlement Intérieur)[cite: 685, 712]: Avertissement, blâme, mise à pied disciplinaire (suspension temporaire du contrat sans salaire, durée limitée), mutation disciplinaire, rétrogradation (nécessitent l'accord du salarié car modification du contrat [cite: 713]), licenciement disciplinaire (pour faute simple, grave ou lourde).
- Sanctions Interdites[cite: 715, 716]: Sanctions pécuniaires (amendes), sanctions discriminatoires.
- Règles d'Application :
- Non bis in idem : Un même fait ne peut être sanctionné deux fois[cite: 717].
- Prescription des faits : Aucun fait fautif ne peut donner lieu seul à sanction au-delà de 2 mois après que l'employeur en a eu connaissance (
L. 1332-4
)[cite: 728]. - Prise en compte d'anciennes sanctions : Une sanction antérieure de moins de 3 ans peut être invoquée pour justifier une sanction plus lourde en cas de nouvelle faute[cite: 717, 718].
- Distinction Mise à Pied Disciplinaire / Conservatoire:
- Disciplinaire : C'est une sanction. Durée limitée prévue au règlement intérieur.
- Conservatoire : Mesure d'attente (pas une sanction) pour écarter immédiatement le salarié en cas de faute grave présumée, dans l'attente de la procédure et de la sanction définitive (souvent licenciement pour faute grave). Si la sanction finale est moindre, les jours de mise à pied conservatoire doivent être payés.
2. La Procédure Disciplinaire (L. 1332-1 et s.
)
L'employeur doit respecter une procédure précise, sauf pour les sanctions les plus légères.
- Sanctions mineures (Avertissement, blâme sans inscription au dossier...) : Simple notification écrite et motivée au salarié[cite: 725].
- Sanctions lourdes (Affectant présence, fonction, carrière, rémunération - ex: mise à pied, mutation, rétrogradation, licenciement) :
- Convocation à un entretien préalable : Par LRAR ou remise en main propre. Indique objet, date, heure, lieu, et possibilité d'assistance (par membre personnel ou conseiller extérieur si pas de représentants)[cite: 726]. Délai minimum de 5 jours ouvrables entre convocation et entretien.
- Entretien préalable : L'employeur expose les motifs de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié[cite: 715].
- Notification de la sanction : Par LRAR. Doit être motivée. Intervient au plus tôt 2 jours ouvrables et au plus tard 1 mois après l'entretien[cite: 727].
- Procédure Conventionnelle : Une convention collective peut prévoir une procédure spécifique. Son non-respect peut entraîner l'irrégularité de la sanction (indemnité max 1 mois de salaire si licenciement)[cite: 729].
3. Le Contrôle du Juge
Le salarié peut contester une sanction devant le Conseil de Prud'hommes[cite: 730]. Le juge exerce un contrôle complet :
- Régularité de la procédure : Vérifie le respect des étapes et des délais.
- Réalité des faits : S'assure que les faits reprochés sont établis.
- Qualification de la faute : Vérifie si les faits constituent bien une faute.
- Proportionnalité : Contrôle si la sanction est proportionnée à la faute commise. Il peut annuler une sanction jugée excessive (sauf si c'est un licenciement, où il requalifie en licenciement sans cause réelle et sérieuse si la faute n'est pas suffisante, ou réduit l'indemnité si juste irrégularité)[cite: 730, 731, 732, 733].
Section 2: Les Droits et Libertés Fondamentaux des Salariés
Le contrat de travail n'implique pas pour le salarié l'abandon de ses droits et libertés fondamentaux[cite: 735]. L'exercice du pouvoir de l'employeur trouve sa limite dans le respect de ces droits.
A. Une Logique Conciliatrice : Le Principe de Proportionnalité
L'article L. 1121-1
du Code du travail pose le principe directeur en la matière :
"Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché." [cite: 739]
Ce texte fondamental signifie que toute restriction aux libertés d'un salarié par l'employeur doit satisfaire un double test :
- Justification : La restriction doit être nécessaire pour atteindre un objectif légitime lié à l'activité de l'entreprise ou à la nature du travail (sécurité, hygiène, bon fonctionnement, image de l'entreprise...).
- Proportionnalité : La mesure restrictive doit être adéquate et strictement nécessaire pour atteindre le but recherché. L'employeur doit choisir le moyen le moins attentatoire aux libertés[cite: 741, 742].
B. Illustrations : Libertés en Entreprise
Ce principe s'applique à de nombreuses situations et libertés[cite: 744]:
- Liberté d'Expression : Le salarié jouit de sa liberté d'expression dans et hors de l'entreprise. Elle ne doit cependant pas dégénérer en abus (propos injurieux, diffamatoires, excessifs).
- Liberté Religieuse : Le salarié peut manifester ses convictions religieuses, sauf si cela crée un trouble objectif dans l'entreprise ou si des restrictions sont justifiées et proportionnées (sécurité, hygiène, contact clientèle via règlement intérieur/clause de neutralité).
- Droit au Respect de la Vie Privée et Familiale : L'employeur ne peut s'immiscer dans la vie privée du salarié que si cela a une incidence directe sur l'exécution du contrat et de manière justifiée/proportionnée.
- Clause de résidence : Rarement valable, sauf nécessité impérieuse liée à l'emploi (ex: gardien logé sur place)[cite: 745, 746].
- Mise en œuvre clause mobilité : Doit respecter la vie personnelle et familiale (contrôle de proportionnalité)[cite: 747, 748].
- Fichiers et Courriels Personnels : L'employeur ne peut accéder aux fichiers ou e-mails identifiés comme "personnels" sur l'ordinateur professionnel qu'en présence du salarié (ou dûment appelé) ou en cas de risque ou événement particulier (jurisprudence "Nikon" et évolutions ultérieures)[cite: 749, 750, 751, 752]. Les fichiers non identifiés comme personnels sont présumés professionnels.
- Liberté de se Vêtir : Des restrictions peuvent être imposées si justifiées par la sécurité, l'hygiène, ou l'image de l'entreprise en contact avec la clientèle, et si elles sont proportionnées (jurisprudence "Bermuda")[cite: 1174, 1175].
Section 3: La Santé et la Sécurité des Travailleurs
Corollaire de son pouvoir de direction, l'employeur est débiteur d'une obligation de sécurité envers ses salariés[cite: 753]. Il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer leur sécurité et protéger leur santé physique et mentale.
A. Les Dispositions du Code du Travail
Le Code du travail (L. 4121-1 et suivants
) impose à l'employeur de nombreuses obligations[cite: 755].
- Obligations Générales[cite: 756]:
- Évaluation des Risques : Identifier et évaluer tous les risques professionnels présents dans l'entreprise et les consigner dans le Document Unique d'Évaluation des Risques Professionnels (DUERP), qui doit être mis à jour annuellement (ou lors de modifications importantes)[cite: 765, 766].
- Information des Salariés : Informer les travailleurs sur les risques pour leur santé/sécurité et les mesures de prévention.
- Formation à la Sécurité : Assurer une formation pratique et appropriée à la sécurité lors de l'embauche et chaque fois que nécessaire.
- Prévention des Risques : Mettre en œuvre les principes généraux de prévention (éviter les risques, évaluer ceux inévitables, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, planifier la prévention...).
- Compte Professionnel de Prévention (C2P) : Déclarer l'exposition des salariés à certains facteurs de risques (travail de nuit, répétitif...) pour alimenter leur C2P[cite: 757, 758].
- Obligations Précises : Nombreuses règles techniques dans la partie réglementaire sur l'aménagement des lieux de travail, l'utilisation des équipements, la manipulation de substances dangereuses... [cite: 759]
- Droits du Salarié :
- Droit d'Alerte et de Retrait (
L. 4131-1
) : Le salarié peut alerter l'employeur et se retirer d'une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé[cite: 760]. Il ne peut être sanctionné ni subir de retenue de salaire pour cela[cite: 761].
- Droit d'Alerte et de Retrait (
- Acteurs de la Prévention[cite: 762, 763, 764, 767, 768]: Le CSE (via notamment sa Commission Santé, Sécurité et Conditions de Travail - CSSCT dans les entreprises d'au moins 300 salariés [cite: 1629]), l'Inspection du travail, et les Services de Prévention et de Santé au Travail (SPST) et le médecin du travail jouent un rôle clé.
B. L'Obligation Jurisprudentielle de Sécurité
Au-delà des textes, la jurisprudence a forgé une obligation de sécurité de l'employeur, initialement qualifiée "de résultat"[cite: 769].
- Origine : Née dans le contexte des maladies professionnelles liées à l'amiante, pour faciliter la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur (ouvrant droit à une indemnisation majorée pour la victime)[cite: 770, 771].
- Portée Étendue : S'applique désormais à tous les risques professionnels, y compris les risques psychosociaux (stress, harcèlement...). Le manquement peut justifier une prise d'acte de la rupture par le salarié (ex: en cas d'exposition au tabagisme passif)[cite: 773, 774, 775].
- Nature Actuelle (Obligation de Moyens Renforcée) : La jurisprudence récente (depuis arrêts "Air France" 2015) tend à considérer que l'employeur remplit son obligation s'il prouve avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles
L. 4121-1
etL. 4121-2
et les mesures immédiates pour faire cesser une atteinte[cite: 776, 778]. La simple survenance d'un dommage (accident, maladie) ne suffit plus à caractériser automatiquement le manquement[cite: 777]. L'employeur peut s'exonérer en prouvant sa diligence.