La durée du travail et la rémunération Partie 3 - Chapitre 2

Au cœur de l'exécution du contrat de travail se trouvent les obligations réciproques fondamentales : la fourniture d'une prestation de travail par le salarié pendant une durée déterminée et le versement d'une contrepartie financière par l'employeur, la rémunération. Ce chapitre explore ces deux piliers de la relation de travail, dont la réglementation est particulièrement dense et source de nombreux contentieux. Nous aborderons d'abord la notion complexe de durée du travail (Section 1), avant de nous pencher sur les règles encadrant la rémunération (Section 2).

Section 1: La Durée du Travail

La réglementation de la durée du travail vise à protéger la santé et la sécurité des salariés, à favoriser l'emploi et à permettre une articulation entre vie professionnelle et vie personnelle. Sa correcte application suppose de bien définir ce qui constitue du temps de travail, puis de respecter les limites légales et conventionnelles.

A. La Définition du Temps de Travail Effectif

Qualifier une période de "temps de travail effectif" est crucial car c'est ce temps qui est pris en compte pour le calcul des durées maximales, des repos, et qui ouvre droit à rémunération (notamment pour les heures supplémentaires).

1. Définition Légale (L. 3121-1)

Le temps de travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

Ces trois critères sont cumulatifs. Il ne s'agit pas seulement du temps où le salarié produit activement, mais de tout le temps où il ne maîtrise pas son emploi du temps et doit se tenir prêt à intervenir pour l'employeur.

2. Cas Particuliers

  • Temps de Pause : En principe, la pause n'est pas du temps de travail effectif, car le salarié peut vaquer à ses occupations. Cependant, si durant sa pause, le salarié reste à la disposition de l'employeur et doit pouvoir intervenir (ex: répondre au téléphone, surveiller une machine), alors ce temps de pause est requalifié en temps de travail effectif et doit être rémunéré comme tel. La loi prévoit une pause minimale de 20 minutes consécutives après 6 heures de travail continu (L. 3121-16).
  • Temps d'Habillage et de Déshabillage : Si le port d'une tenue de travail est obligatoire et que l'habillage/déshabillage doit se faire dans l'entreprise ou sur le lieu de travail, ce temps n'est pas du temps de travail effectif mais doit faire l'objet de contreparties (financières ou en repos) définies par accord collectif ou par le contrat (L. 3121-3).
  • Temps de Déplacement Professionnel :
    • Le temps de trajet habituel domicile-lieu de travail n'est pas du temps de travail effectif.
    • Le temps de déplacement entre deux lieux de travail (ex: entre deux clients, entre le siège et un chantier) est du temps de travail effectif.
    • Le temps de trajet inhabituel entre le domicile et un lieu de travail différent du lieu habituel (ex: déplacement chez un client éloigné) n'est pas du temps de travail effectif, MAIS la part de ce temps qui dépasse le temps normal de trajet doit faire l'objet d'une contrepartie (financière ou repos) déterminée par accord ou décision unilatérale (L. 3121-4).
  • Preuve du Temps de Travail : En cas de litige sur les heures effectuées, la preuve est partagée. Le salarié doit fournir des éléments précis sur les heures qu'il prétend avoir accomplies. L'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié (L. 3171-4). Un simple décompte établi par le salarié peut suffire à étayer sa demande.
Piège fréquent - Calcul Temps Effectif : De nombreux litiges naissent de la mauvaise qualification des temps de pause, de trajet ou d'habillage. Une requalification en temps de travail effectif peut entraîner des rappels de salaire importants (heures supplémentaires, majorations).

B. Les Notions Périphériques

Certains régimes spécifiques aménagent la notion ou le décompte du temps de travail.

  • Heures d'Équivalence (L. 3121-13 s.) : Dans certains métiers comportant des périodes d'inaction (ex: gardiennage, restauration, transport routier...), une durée de présence supérieure à la durée légale peut être considérée comme équivalente à celle-ci pour le décompte des heures supplémentaires et la rémunération. Ex: 39h de présence payées 35h. Ne peuvent être mises en place que par décret ou accord de branche étendu.
  • Astreinte (L. 3121-9 s.) : Période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail ni à la disposition permanente de l'employeur, doit rester joignable et pouvoir intervenir rapidement. L'astreinte n'est pas du temps de travail effectif (sauf le temps d'intervention lui-même). Elle doit donner lieu à une contrepartie (financière ou repos). Elle est prise en compte pour le calcul des repos quotidien et hebdomadaire. Mise en place par accord collectif ou décision unilatérale après consultation CSE.
  • Travail de Nuit (L. 3122-1 s.) : Travail effectué durant une période d'au moins 9h consécutives comprenant l'intervalle minuit-5h (ou autre période définie par accord). Recours exceptionnel, justifié. Donne lieu à contreparties obligatoires (repos compensateur et/ou compensation salariale). Régime largement défini par négociation collective.
  • Travail Dominical (L. 3132-1 s.) : Le repos hebdomadaire doit être d'au moins 24h consécutives, en principe donné le dimanche (repos dominical). De très nombreuses dérogations existent (légales, conventionnelles, administratives), permanentes ou temporaires, avec ou sans contreparties obligatoires selon le cas (commerces alimentaires, zones touristiques, industries fonctionnant en continu...).

C. Le Décompte et les Limites de la Durée du Travail

1. Durées Maximales et Repos Minimaux

Pour protéger la santé des salariés, la loi fixe des plafonds et des planchers impératifs.

  • Durées Maximales Quotidiennes et Hebdomadaires (L. 3121-18 s.) :
    • Jour : 10 heures (sauf dérogation par accord ou autorisation administrative jusqu'à 12h).
    • Semaine : 48 heures sur une semaine isolée.
    • Moyenne Hebdomadaire : 44 heures en moyenne sur 12 semaines consécutives (sauf dérogation par accord jusqu'à 46h).
  • Repos Quotidiens et Hebdomadaires :
    • Repos Quotidien : 11 heures consécutives entre deux journées de travail (L. 3131-1) (sauf dérogations).
    • Repos Hebdomadaire : 24 heures consécutives (s'ajoutant aux 11h de repos quotidien, soit 35h au total), en principe le dimanche (L. 3132-2).
  • Congés Payés (L. 3141-1 s.) : Droit à 2,5 jours ouvrables par mois de travail effectif (soit 5 semaines par an). L'employeur fixe les dates après consultation, mais le salarié doit bénéficier d'au moins 12 jours ouvrables continus entre le 1er mai et le 31 octobre.
  • Jours Fériés (L. 3133-1 s.) : Seul le 1er mai est obligatoirement chômé et payé. Pour les autres jours fériés légaux, le chômage dépend des conventions collectives ou usages ; s'ils sont travaillés, la loi ne prévoit pas de majoration (sauf accord ou usage contraire).
  • Journée de Solidarité (L. 3133-7 s.) : Journée de travail supplémentaire (7h max) non rémunérée, destinée à financer l'autonomie des personnes âgées/handicapées. Modalités fixées par accord collectif ou employeur.
  • Cadres Dirigeants (L. 3111-2) : Catégorie spécifique de cadres (grande autonomie, responsabilités importantes, rémunération élevée) exclus de la réglementation sur la durée du travail (sauf congés payés). Ne sont pas soumis aux durées maximales, heures supplémentaires, etc.
Point Avocat - Respect des Limites : Le non-respect des durées maximales ou repos minimaux expose l'employeur à des sanctions pénales et civiles (dommages-intérêts pour préjudice subi par le salarié). La preuve des heures (et donc du respect des limites) est cruciale.

2. Le Dépassement de la Durée Légale (35 Heures)

La durée légale du travail est fixée à 35 heures par semaine civile (L. 3121-27). Ce n'est ni un minimum, ni un maximum, mais le seuil de déclenchement des heures supplémentaires.

  • Travail à Temps Partiel (L. 3123-1 s.) : Contrat dont la durée du travail est inférieure à la durée légale (ou conventionnelle si inférieure). Régime spécifique (écrit obligatoire, mentions, heures complémentaires limitées et majorées...).
  • Heures Supplémentaires (HS) (L. 3121-28 s.) : Heures effectuées au-delà de la durée légale de 35h (ou durée équivalente).
    • Accomplissement : En principe, elles sont demandées par l'employeur et le salarié ne peut les refuser (sauf abus).
    • Majoration : Taux légal = 25% pour les 8 premières HS (36e à 43e h), 50% au-delà. MAIS un accord d'entreprise ou de branche peut fixer un taux différent, sans descendre en dessous de 10%. L'accord d'entreprise prime sur la branche.
    • Contingent Annuel : Volume d'HS réalisables après simple information du CSE. Fixé par accord collectif, à défaut 220 heures/an/salarié.
    • Contrepartie Obligatoire en Repos (COR) : Due pour les HS effectuées au-delà du contingent annuel (50% ou 100% selon taille entreprise). Un accord peut prévoir une COR pour les HS dans le contingent.
    • Remplacement du Paiement par Repos : Un accord peut prévoir que le paiement des HS et/ou des majorations soit remplacé par un repos compensateur équivalent.
  • Conventions de Forfait (L. 3121-53 s.) : Permettent de rémunérer le salarié sur la base d'un nombre d'heures ou de jours fixés, incluant forfaitairement les heures supplémentaires.
    • Forfait en Heures (hebdomadaire, mensuel, annuel) : Rémunération fixe pour un nombre d'heures défini incluant des HS. Nécessite accord écrit du salarié. Forfait annuel soumis à conditions (autonomie salarié, accord collectif...).
    • Forfait en Jours (annuel) : Réservé aux cadres autonomes et certains non-cadres dont la durée du travail ne peut être prédéterminée. Décompte en jours travaillés (max 218 jours/an sauf accord salarié pour rachat jours repos). Conditions strictes : accord collectif obligatoire (prévoyant garanties suivi charge travail, entretien annuel...), convention individuelle écrite.
    • Risques Forfait Jours : Nombreux contentieux sur la validité des accords collectifs (garanties insuffisantes pour santé/repos). Si accord ou convention individuelle nuls, le salarié peut réclamer le paiement de toutes les heures supplémentaires effectuées au-delà de 35h/semaine.
  • Aménagement du Temps de Travail sur Période Supérieure à la Semaine (L. 3121-41 s.) : Permet de faire varier les horaires d'une semaine à l'autre pour s'adapter à l'activité, tout en lissant le paiement des HS sur une période de référence (max 1 an par accord, voire 3 ans si accord branche). Les HS ne sont décomptées qu'à la fin de la période si la moyenne de 35h est dépassée. S'impose au salarié si mis en place par accord.

Section 2: La Rémunération

Contrepartie directe de la prestation de travail, la rémunération (souvent appelée salaire) est un élément essentiel du contrat. Sa fixation et son paiement obéissent à des règles strictes.

A. La Notion et les Composantes du Salaire

La notion de "salaire" ou "rémunération" est complexe car elle recouvre différentes réalités selon le contexte juridique.

  • Acception Large vs Restreinte :
    • Assiette des cotisations sociales : Très large, inclut presque tout ce qui est versé en contrepartie ou à l'occasion du travail (salaire base, primes, avantages nature, indemnités congés payés...).
    • Base de calcul SMIC/Minima conventionnels : Plus restreinte, exclut les remboursements de frais, les majorations HS, certaines primes (ancienneté, assiduité...).
    • Garantie AGS (en cas de faillite) : Assez large, inclut salaires, indemnités rupture, parfois intéressement/participation.
  • Composantes Possibles :
    • Salaire de base : Fixé au contrat (horaire, mensuel...).
    • Heures supplémentaires majorées.
    • Primes et Gratifications : Peuvent avoir nature de salaire si obligatoires (contrat, accord, usage) et liées au travail (prime de rendement, d'objectifs...). D'autres non (prime d'ancienneté pour calcul minima).
    • Avantages en Nature : Nourriture, logement, véhicule... Évalués et soumis à cotisations.
    • Pourboires : Peuvent constituer tout ou partie du salaire dans certaines professions.
    • Indemnités diverses : Certaines sont des substituts de salaire (congés payés, précarité), d'autres non (remboursement frais pro, indemnités de licenciement...).
Piège fréquent - Qualification des Sommes : Bien qualifier chaque somme versée est essentiel pour calculer correctement les cotisations sociales, vérifier le respect des minima, déterminer les droits à indemnités (rupture, congés...). Une erreur de qualification peut avoir des conséquences financières lourdes.

B. La Fixation du Montant du Salaire

Si le montant du salaire est librement négocié entre les parties, cette liberté est encadrée par deux principes majeurs.

1. Le Respect des Salaires Minima

  • SMIC (Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance) : Minimum légal absolu en dessous duquel aucun salarié (sauf exceptions : apprentis, jeunes...) ne peut être payé. Montant horaire revalorisé chaque année. L'employeur doit vérifier que la rémunération versée pour un mois de travail, rapportée au nombre d'heures effectuées, atteint au moins le SMIC horaire x nb heures.
  • Minimum Conventionnel (SMC) : Les conventions collectives de branche fixent souvent des grilles de salaires minima par classification (coefficient, niveau...). Ce minimum conventionnel s'impose à l'employeur s'il est plus favorable que le SMIC.
  • Vérification du Respect : Comparer le salaire brut réellement versé pour le travail fourni (hors éléments exclus comme certaines primes, majorations HS...) avec le minimum applicable (SMIC ou SMC le plus élevé).

2. Le Principe "À Travail Égal, Salaire Égal"

  • Fondement : Principe d'égalité de traitement, dégagé par la jurisprudence (Cass. Soc. 1996) et lié à l'interdiction des discriminations (notamment H/F - L. 3221-2).
  • Règle : L'employeur doit assurer une égalité de rémunération entre tous les salariés placés dans une situation identique, effectuant un travail de valeur égale.
  • Notion de Travail de Valeur Égale (L. 3221-4) : Travaux exigeant des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles (diplôme, expérience), de capacités (effort physique, responsabilité) et de charge de travail.
  • Justification des Différences : Une différence de salaire entre salariés effectuant un travail égal est possible si elle repose sur des raisons objectives, matériellement vérifiables et pertinentes, étrangères à toute discrimination. Exemples admis : ancienneté, expérience spécifique, diplôme supérieur utile au poste, qualité du travail individuel (si évaluation objective).
  • Cas des Accords Collectifs : La Cour de cassation admet que des différences de traitement entre catégories professionnelles issues d'un accord collectif sont présumées justifiées. C'est au salarié qui conteste de prouver qu'elles sont étrangères à toute considération professionnelle.

C. Le Paiement du Salaire

Le versement du salaire est l'obligation principale de l'employeur.

  • Modalités : Paiement mensuel (mensualisation), par virement ou chèque (espèces possibles sous 1500€).
  • Bulletin de Paie (L. 3243-2, R. 3243-1) : Remise obligatoire. Doit comporter de nombreuses mentions obligatoires (identification employeur/salarié, période, détails calcul brut/net, cotisations, congés...). Format simplifié depuis quelques années. Peut être remis électroniquement avec accord salarié.
  • Prescription des Actions en Paiement (L. 3245-1) : Le salarié a 3 ans pour réclamer un rappel de salaire devant le CPH (délai réduit de 5 à 3 ans en 2013).
  • Sanctions du Non-Paiement :
    • Action en paiement devant le CPH (+ intérêts de retard).
    • Possibilité pour le salarié de prendre acte de la rupture aux torts de l'employeur (équivaut à licenciement sans cause réelle et sérieuse si manquement grave).
    • Sanctions pénales possibles.
  • Garantie des Créances Salariales (en cas de procédure collective) :
    • Privilèges : Les salaires bénéficient de privilèges sur les biens de l'employeur, notamment un "superprivilège" pour les 60 derniers jours de salaire en cas de redressement/liquidation (L. 3253-2).
    • AGS (Association pour la Gestion du régime de Garantie des créances des Salariés) : Organisme patronal financé par cotisations, qui garantit le paiement des salaires et indemnités dus aux salariés en cas de défaillance de l'employeur soumis à une procédure collective, dans certaines limites (L. 3253-6 s.).