Les événements affectant l'exécution normale du contrat de travail Partie 3 - Chapitre 3
L'exécution du contrat de travail n'est pas un long fleuve tranquille. Divers événements peuvent venir perturber son déroulement normal. Ce chapitre examine trois situations majeures : la modification du contrat initiée par l'employeur (Section 1), la suspension temporaire du contrat due à divers aléas comme la maladie (Section 2), et enfin le transfert de l'entreprise qui soulève la question du maintien des contrats (Section 3). Chacune de ces situations est encadrée par des règles spécifiques visant à équilibrer les nécessités de gestion de l'entreprise et la protection des salariés.
Section 1: La Modification du Contrat de Travail
L'employeur peut souhaiter modifier certains aspects de la relation de travail en cours d'exécution. La question centrale est de savoir si cette modification requiert l'accord du salarié ou si elle relève du pouvoir de direction de l'employeur.
A. Distinction Modification du Contrat vs. Changement des Conditions de Travail
C'est une distinction fondamentale, principalement jurisprudentielle, qui conditionne le régime applicable.
- Modification du Contrat de Travail : Touche à un élément essentiel du contrat, considéré comme déterminant du consentement initial des parties. Elle ne peut être imposée au salarié et requiert son accord exprès. Le refus du salarié n'est pas fautif.
- Changement des Conditions de Travail : Relève du pouvoir de direction de l'employeur. Il s'impose au salarié (sauf abus de droit). Le refus du salarié est fautif et peut justifier une sanction disciplinaire allant jusqu'au licenciement.
Le "Noyau Dur" Contractuel (Modification) :
La jurisprudence considère généralement comme éléments essentiels nécessitant l'accord du salarié :
- La Rémunération : Toute modification du montant ou du mode de calcul (même potentiellement plus favorable) requiert l'accord.
- La Qualification Professionnelle : Changer la qualification ou les fonctions essentielles convenues. Attention : un simple changement de tâches relevant de la même qualification est un changement des conditions de travail.
- La Durée du Travail : Passer d'un temps plein à un temps partiel (ou inversement), modifier la répartition contractuellement fixée si elle était un élément déterminant. Attention : la simple modification des horaires (passer du matin à l'après-midi) est en principe un changement des conditions de travail, SAUF si cela entraîne un bouleversement majeur (passage jour/nuit) ou touche un salarié à temps partiel (horaires contractualisés). L'imposition d'heures supplémentaires n'est pas une modification.
- Le Lieu de Travail (Hors Secteur Géographique) : Une mutation en dehors du secteur géographique où le salarié travaille habituellement est une modification du contrat. Une mutation à l'intérieur de ce secteur est un simple changement des conditions de travail. La notion de "secteur géographique" est appréciée au cas par cas (bassin d'emploi, accessibilité transport...).
Le Rôle de la Clause de Mobilité :
Une clause de mobilité valide (voir P2 Ch2) intégrée au contrat "transforme" une mutation prévue dans la zone définie par la clause en un simple changement des conditions de travail. Le refus du salarié devient alors fautif (sauf mise en œuvre abusive ou disproportionnée).
B. La Procédure de Modification du Contrat de Travail
Lorsque l'accord du salarié est requis, la procédure diffère selon le motif de la modification envisagée.
- Modification pour Motif NON Économique :
- L'employeur doit faire une proposition claire et précise au salarié.
- L'acceptation du salarié doit être expresse et non équivoque. La simple poursuite du travail aux nouvelles conditions ne vaut pas acceptation. Un avenant écrit est fortement recommandé.
- En cas de refus, l'employeur a deux choix : soit renoncer à la modification, soit engager une procédure de licenciement fondée sur le motif initial ayant conduit à proposer la modification (ex: insuffisance professionnelle si proposition de rétrogradation refusée), mais jamais sur le refus lui-même.
- Modification pour Motif Économique (
L. 1222-6
) :- Procédure spécifique si la modification d'un élément essentiel est proposée pour l'un des motifs économiques prévus à
L. 1233-3
(difficultés éco, mutations techno, sauvegarde compétitivité, cessation activité). - Proposition par LRAR informant le salarié qu'il dispose d'un délai d'un mois pour refuser.
- Silence = Acceptation : À défaut de réponse dans le délai d'un mois, le salarié est réputé avoir accepté.
- En cas de refus exprès, l'employeur peut soit renoncer, soit engager une procédure de licenciement pour motif économique.
- Procédure spécifique si la modification d'un élément essentiel est proposée pour l'un des motifs économiques prévus à
- Modification Imposée : Si l'employeur impose une modification du contrat sans l'accord du salarié, ce dernier peut :
- Saisir le CPH en référé pour demander la poursuite du contrat aux conditions initiales.
- Demander des rappels de salaire si la modification a eu un impact financier.
- Prendre acte de la rupture aux torts de l'employeur.
- Demander la résiliation judiciaire du contrat.
C. Les Atteintes au Régime : Les Accords de Performance Collective (APC)
Introduits par les ordonnances Macron (L. 2254-2
), les APC constituent une exception majeure au principe selon lequel le contrat ne peut être modifié sans l'accord du salarié.
- Objectif : Permettre à une entreprise, via un accord collectif majoritaire, d'aménager certains aspects du contrat de travail pour répondre aux nécessités liées à son fonctionnement ou pour préserver/développer l'emploi, même en l'absence de difficultés économiques avérées.
- Domaines Concernés : L'APC peut aménager :
- La durée du travail (modalités d'organisation, répartition).
- La rémunération (structure, montant - dans le respect des minima légaux/conventionnels).
- La mobilité professionnelle ou géographique interne.
- Effet sur le Contrat de Travail : Les stipulations de l'APC se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail. L'accord collectif prime sur le contrat individuel, même moins favorable.
- Refus du Salarié :
- Le salarié dispose d'un délai d'un mois pour refuser l'application de l'APC à son contrat, après information par l'employeur.
- En cas de refus, l'employeur peut engager une procédure de licenciement. Ce licenciement repose sur un motif spécifique (sui generis), lié au refus de l'APC, qui constitue une cause réelle et sérieuse. Ce n'est ni un licenciement économique (pas de PSE, pas d'obligation de reclassement externe), ni un licenciement disciplinaire.
- Le salarié licencié bénéficie de l'assurance chômage et d'un abondement de son Compte Personnel de Formation (CPF) par l'employeur.