Les modes de rupture autres que le licenciement Partie 4 - Chapitre 1

La Partie 4 de ce cours est consacrée à la rupture du contrat de travail. Si le licenciement (pour motif personnel ou économique) constitue un mode de rupture fréquent initié par l'employeur (qui sera traité dans les chapitres suivants), il existe de nombreuses autres manières de mettre fin à un Contrat à Durée Indéterminée (CDI). Ce chapitre explore ces alternatives au licenciement, qu'elles résultent d'un événement extérieur, de la volonté du salarié, de l'employeur (hors licenciement) ou d'un accord entre les parties.

Section 1: La Force Majeure

La force majeure est un événement exceptionnel permettant la rupture immédiate du contrat.

  • Définition (Art. 1218 Code Civil & Jurisprudence) : Événement extérieur aux parties, imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, rendant impossible la poursuite du contrat de travail.
  • Rareté en Droit du Travail : Très rarement admise par les juges. Les difficultés économiques, même importantes, ou la maladie du salarié ne constituent pas des cas de force majeure. Un incendie détruisant totalement et définitivement l'entreprise pourrait en être un exemple.
  • Conséquences :
    • Rupture immédiate du contrat, sans préavis.
    • En principe, dispense l'employeur de verser l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité de licenciement.
    • L'indemnité compensatrice de congés payés reste due.
    • Exception : Si la rupture résulte d'un sinistre relevant de la force majeure, l'employeur doit verser l'indemnité légale ou conventionnelle de licenciement (L. 1234-13).

Section 2: La Mise à la Retraite et le Départ Volontaire à la Retraite

L'atteinte d'un certain âge et l'ouverture des droits à pension peuvent conduire à la fin du contrat, soit à l'initiative de l'employeur, soit à celle du salarié.

A. La Mise à la Retraite (Initiative Employeur) (L. 1237-5 s.)

  • Principe : L'employeur peut proposer au salarié de partir à la retraite s'il a atteint l'âge lui permettant de bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein.
  • Conditions d'Âge :
    • Entre l'âge du taux plein et 69 ans inclus : L'employeur peut seulement proposer la mise à la retraite. Le salarié est libre de refuser. S'il accepte, c'est une mise à la retraite. S'il refuse, le contrat continue. L'employeur doit interroger le salarié par écrit 3 mois avant son anniversaire sur son intention de quitter volontairement l'entreprise.
    • À partir de 70 ans : L'employeur peut imposer la mise à la retraite d'office.
  • Interdiction de la Discrimination par l'Âge : Une mise à la retraite imposée avant 70 ans (ou sans respecter la procédure d'interrogation) est considérée comme un licenciement nul car discriminatoire.
  • Conséquences : Le salarié a droit à un préavis (identique à celui du licenciement) et à une indemnité de mise à la retraite au moins égale à l'indemnité légale de licenciement (ou conventionnelle si plus favorable).

B. Le Départ Volontaire à la Retraite (Initiative Salarié) (L. 1237-9 s.)

  • Conditions : Le salarié doit avoir atteint l'âge légal de départ à la retraite (variable selon génération) et notifier à l'employeur sa décision de liquider ses droits à pension et de quitter l'entreprise.
  • Volonté Claire et Non Équivoque : La décision doit être librement consentie et non ambiguë.
  • Préavis : Le salarié doit respecter un préavis (durée légale ou conventionnelle comme pour la démission).
  • Indemnité de Départ : Le salarié a droit à une indemnité légale de départ à la retraite (montant inférieur à l'indemnité de licenciement, variant selon l'ancienneté) ou à l'indemnité conventionnelle si elle existe et est plus favorable.
Distinction Cruciale : Les conséquences (montant de l'indemnité, procédure) diffèrent grandement entre mise et départ à la retraite. Vérifier l'âge du salarié, ses droits à pension à taux plein, et qui a l'initiative de la rupture.

Section 3: La Démission

La démission est la rupture du CDI à l'initiative exclusive du salarié.

  • Définition : Acte unilatéral par lequel le salarié manifeste sa volonté de rompre son contrat de travail. Ne concerne que le CDI.
  • Conditions de Validité : Pour être valable, la démission doit résulter d'une volonté sérieuse, claire et non équivoque du salarié de mettre fin au contrat.
    • Libre : Le consentement ne doit pas être vicié (pression, harcèlement...). Une démission sous la contrainte peut être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse (voire nul).
    • Claire et Non Équivoque : La volonté de rompre doit être certaine. Une absence, même prolongée, ou un coup de colère ne suffisent pas à caractériser une démission. Si le salarié quitte son poste en reprochant des fautes à l'employeur, il ne s'agit pas d'une démission mais potentiellement d'une prise d'acte.
  • Forme : Aucun formalisme légal n'est exigé (peut être verbale), mais un écrit est fortement recommandé pour des raisons de preuve (date de notification, point de départ du préavis).
  • Préavis (L. 1237-1) : Le salarié démissionnaire doit respecter un préavis dont la durée est fixée par la loi (rare), la convention collective, ou l'usage. L'employeur peut dispenser le salarié d'exécuter le préavis (mais doit alors lui payer l'indemnité compensatrice correspondante). Si le salarié n'exécute pas son préavis sans dispense, il peut être condamné à verser une indemnité à l'employeur.
  • Conséquences : Pas d'indemnité de rupture (sauf dispositions conventionnelles spécifiques). En principe, pas d'ouverture de droits à l'assurance chômage (sauf cas de démissions considérées comme légitimes par Pôle Emploi, ex: suivi de conjoint).

Section 4: La Prise d'Acte de la Rupture

Mode de rupture jurisprudentiel, initié par le salarié qui impute la responsabilité de la rupture à l'employeur en raison de manquements graves.

  • Mécanisme : Le salarié notifie à l'employeur qu'il "prend acte" de la rupture de son contrat en raison de faits qu'il lui reproche (ex: non-paiement persistant du salaire, modification unilatérale du contrat, manquement grave à l'obligation de sécurité, harcèlement...).
  • Effet Immédiat : La prise d'acte entraîne la cessation immédiate du contrat de travail. Le salarié quitte l'entreprise.
  • Rôle du Juge : Le salarié doit ensuite saisir le CPH pour qu'il statue sur les conséquences de cette rupture. Le juge va examiner si les manquements reprochés à l'employeur étaient suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat.
    • Si OUI (Manquements Graves Avérés) : La prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (indemnités de rupture, préavis, dommages-intérêts selon barème) voire d'un licenciement nul si les faits relèvent d'un cas de nullité (discrimination, harcèlement...).
    • Si NON (Manquements Pas Assez Graves ou Inexistants) : La prise d'acte produit les effets d'une démission (pas d'indemnités, pas de droit au chômage en principe).
  • Initiative Salarié Uniquement : Seul le salarié peut prendre acte. L'employeur ne peut "prendre acte" de manquements du salarié ; il doit utiliser le licenciement.

Section 5: La Résiliation Judiciaire

Autre mode de rupture initié par le salarié en raison de manquements de l'employeur, mais dont les effets diffèrent de la prise d'acte.

  • Mécanisme : Le salarié saisit le CPH pour demander au juge de prononcer la résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur, en raison de manquements qu'il estime suffisamment graves.
  • Effet Non Immédiat : Contrairement à la prise d'acte, la demande de résiliation judiciaire ne rompt pas le contrat. Le salarié continue de travailler (et d'être payé) pendant toute la durée de la procédure judiciaire.
  • Rôle du Juge : Le juge examine les manquements reprochés.
    • Si Manquements Graves Avérés : Le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l'employeur. Cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (ou nul si applicable). La date de rupture est fixée au jour du jugement.
    • Si Manquements Pas Assez Graves ou Inexistants : Le juge déboute le salarié de sa demande. Le contrat de travail se poursuit normalement.
  • Risque : Si le salarié est licencié (pour un autre motif) pendant la procédure de résiliation judiciaire, le juge doit d'abord examiner les manquements invoqués pour la résiliation. S'ils sont jugés graves, le licenciement postérieur est sans effet, et la rupture produit les effets d'un licenciement injustifié/nul à la date du licenciement.
Point Avocat - Prise d'Acte vs. Résiliation Judiciaire :
  • Prise d'acte : Rapide (rupture immédiate) mais risquée (requalification en démission si faits insuffisants). Adaptée si la poursuite du contrat est intolérable.
  • Résiliation judiciaire : Plus sûre (maintien du contrat si échec) mais longue (le salarié reste dans l'entreprise pendant la procédure). Adaptée si le salarié souhaite quitter l'entreprise mais peut supporter d'y rester le temps du jugement.
Le choix dépend de la gravité des faits et de la situation du salarié.

Section 6: La Rupture Conventionnelle Individuelle (RCI)

Introduite en 2008 (L. 1237-11 s.), la RCI permet à l'employeur et au salarié en CDI de convenir d'un commun accord des conditions de la rupture du contrat, via une procédure sécurisée et homologuée par l'administration.

  • Avantages : Sécurise la rupture amiable, ouvre droit aux allocations chômage pour le salarié (contrairement à la démission ou rupture amiable simple).
  • Contestation : Le recours contre la convention ou la décision d'homologation se fait devant le Conseil de Prud'hommes, dans les 12 mois suivant l'homologation.
  • Nullité : Peut être annulée en cas de vice du consentement (erreur, dol, violence), fraude, non-respect de la procédure (absence d'entretien, indemnité inférieure au minimum...). La nullité produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (ou nul).
  • Contextes Particuliers : Possible pendant une suspension du contrat (maladie, maternité...), mais la jurisprudence contrôle l'absence de fraude ou de pression. Exclue dans le cadre d'un accord de GPEC ou d'un PSE prévoyant des départs.

Section 7: La Rupture Amiable de Droit Commun

La rupture d'un commun accord "classique", basée sur le droit commun des contrats, a vu son champ d'application considérablement réduit par l'instauration de la RCI.

  • Principe (Jurisprudence 2014) : Hors cas prévus par la loi, la rupture amiable d'un CDI ne peut intervenir que via la procédure de rupture conventionnelle homologuée (RCI).
  • Champ Résiduel : La rupture amiable simple reste possible notamment pour :
    • Mettre fin à un CDD ou un contrat d'apprentissage d'un commun accord.
    • Dans le cadre de dispositifs collectifs spécifiques : congé de mobilité, accord GPEC, PSE, Rupture Conventionnelle Collective (où elle est encadrée par l'accord collectif).
  • Risques : Conclure une rupture amiable simple pour un CDI hors des cas autorisés risque d'être requalifié (souvent en licenciement sans cause réelle et sérieuse si l'initiative vient de l'employeur). N'ouvre pas droit au chômage.

Section 8: La Rupture Conventionnelle Collective (RCC)

Créée par les ordonnances Macron (L. 1237-19 s.), la RCC permet d'organiser des départs volontaires collectifs en dehors du cadre du licenciement économique.

  • Objectif : Sécuriser juridiquement les plans de départs volontaires (PDV).
  • Cadre : Repose obligatoirement sur un accord collectif majoritaire d'entreprise.
  • Contenu de l'Accord : Définit les conditions des départs :
    • Nombre maximal de départs envisagés et de suppressions d'emplois associées.
    • Conditions d'éligibilité des salariés.
    • Critères de départage entre candidats.
    • Modalités de calcul des indemnités de rupture (au moins égales aux indemnités légales de licenciement).
    • Mesures d'accompagnement et de reclassement externe (similaires à un PSE).
    • Modalités d'information du CSE et de suivi.
  • Validation Administrative : L'accord collectif doit être validé par la DREETS (contrôle de conformité et de la présence des mesures d'accompagnement).
  • Mise en Œuvre : Les salariés éligibles se portent volontaires. La rupture du contrat résulte d'un commun accord formalisé entre l'employeur et chaque salarié partant, dans le cadre défini par l'accord collectif.
  • Avantages : Évite les contraintes et le contentieux du licenciement économique (pas de motif économique à justifier, pas de reclassement interne...). Les salariés partant bénéficient de l'assurance chômage.
  • Contrôle : Le contrôle de l'accord et de la décision de validation relève du juge administratif.