Le licenciement pour motif personnel Partie 4 - Chapitre 2

Le licenciement est la rupture du contrat de travail à durée indéterminée (CDI) à l'initiative de l'employeur. Ce chapitre se concentre sur le licenciement pour motif personnel, c'est-à-dire celui qui est inhérent à la personne du salarié. Il se distingue du licenciement pour motif économique (étudié au chapitre suivant) qui repose sur des raisons non liées au salarié lui-même. Pour être valable, le licenciement pour motif personnel doit respecter une procédure stricte (Section 1) et être fondé sur une cause réelle et sérieuse (Section 2). L'absence de respect de ces exigences entraîne des sanctions variables, pouvant aller jusqu'à la nullité du licenciement dans les cas les plus graves (Section 3). Enfin, nous examinerons les conséquences concrètes de la rupture (Section 4).

Section 1: La Procédure de Licenciement pour Motif Personnel

La loi impose une procédure précise (L. 1232-2 et suivants) visant à garantir les droits de la défense du salarié. Son non-respect rend le licenciement irrégulier.

A. La Convocation à l'Entretien Préalable

  • Mode de Convocation : Lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) ou lettre remise en main propre contre décharge. Garantit la date de présentation.
  • Contenu Obligatoire (L. 1232-2) :
    • Objet de l'entretien : Mentionner explicitement qu'un licenciement est envisagé (mais sans préciser les motifs à ce stade).
    • Date, heure et lieu de l'entretien.
    • Possibilité d'assistance : Rappeler au salarié qu'il peut se faire assister :
      • Par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise.
      • OU, en l'absence d'institutions représentatives du personnel (CSE), par un conseiller du salarié extérieur, choisi sur une liste départementale. La lettre doit alors mentionner les adresses (mairie, inspection du travail - DREETS) où cette liste est disponible (L. 1232-4).
  • Délai : L'entretien ne peut avoir lieu moins de 5 jours ouvrables après la présentation de la LRAR ou la remise en main propre de la convocation (L. 1232-2). Ce délai permet au salarié de préparer sa défense et de trouver un assistant.
Erreurs Fréquentes Convocation : Oublier la mention de l'assistance (surtout conseiller extérieur), ne pas respecter le délai de 5 jours ouvrables. Ces erreurs rendent la procédure irrégulière.

B. Le Déroulement de l'Entretien Préalable

  • Objectif : Permettre un échange entre l'employeur et le salarié avant toute décision définitive.
  • Déroulement :
    • L'employeur (ou son représentant) indique le ou les motifs du licenciement envisagé.
    • L'employeur recueille les explications du salarié.
    • Le salarié (et son assistant éventuel) peut présenter ses arguments et se défendre.
  • Absence du Salarié : Si le salarié, régulièrement convoqué, ne se présente pas, l'employeur peut poursuivre la procédure.
  • Assistance de l'Employeur : L'employeur peut se faire assister, mais uniquement par une personne appartenant au personnel de l'entreprise.

C. La Notification du Licenciement

  • Mode de Notification : Obligatoirement par Lettre Recommandée avec Accusé de Réception (LRAR) (L. 1232-6). C'est la date d'envoi qui fixe la date de rupture si le préavis n'est pas exécuté.
  • Délai d'Envoi : La lettre ne peut être expédiée moins de 2 jours ouvrables après la date de l'entretien (L. 1232-6). Pour un licenciement disciplinaire, délai maximal de 1 mois après l'entretien.
  • Motivation Écrite Obligatoire : La lettre DOIT énoncer le ou les motifs précis du licenciement. C'est une exigence fondamentale.
    • Fixation des limites du litige : Le juge ne peut examiner que les motifs invoqués dans la lettre. L'employeur ne peut pas invoquer d'autres motifs ultérieurement.
    • Précision des motifs : Un motif vague ou imprécis ("comportement non satisfaisant", "insuffisance") équivalait traditionnellement à une absence de motif, rendant le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
    • Évolution (Ordonnances Macron - L. 1235-2) :
      • L'employeur peut désormais préciser les motifs après la notification, soit de sa propre initiative (dans les 15 jours), soit à la demande du salarié (qui a 15 jours pour demander).
      • Si le salarié ne demande pas de précisions, une simple insuffisance de motivation initiale ne privera plus, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse, mais donnera lieu à une indemnité pour irrégularité (max 1 mois de salaire).
      • L'absence totale de motif écrit reste sanctionnée par l'absence de cause réelle et sérieuse.
    • Modèles de lettres : Des modèles facultatifs de lettres de licenciement peuvent être fixés par décret pour aider les employeurs.
Point Avocat - La Lettre de Licenciement : C'est le document clé du contentieux. Sa rédaction doit être extrêmement rigoureuse et précise. Malgré la possibilité de préciser les motifs a posteriori, une motivation initiale solide reste essentielle pour la défense de l'employeur. Pour le salarié, demander des précisions peut être stratégique.

Section 2: La Cause Réelle et Sérieuse de Licenciement

Au-delà de la procédure, le licenciement doit reposer sur une cause réelle et sérieuse (L. 1232-1). C'est la justification matérielle de la rupture.

A. La Notion de Cause Réelle et Sérieuse (CRS)

  • Exigence Légale : Tout licenciement doit être justifié par une CRS.
  • Absence de Définition Légale : C'est la jurisprudence qui a défini les contours de la notion.
  • Appréciation par le Juge : Le juge du fond (CPH, Cour d'appel) apprécie souverainement si les faits invoqués par l'employeur constituent une CRS. En cas de doute, il profite au salarié (L. 1235-1).
  • Critères Cumulatifs :
    • Cause Réelle : Repose sur des faits objectifs (matériellement vérifiables, précis), existants (non imaginaires) et exacts (non mensongers). Ex: un licenciement fondé sur une simple "perte de confiance" subjective n'est pas une cause réelle.
    • Cause Sérieuse : Les faits doivent revêtir une gravité suffisante rendant impossible la poursuite du contrat de travail sans dommage pour l'entreprise et justifiant la rupture. Une faute légère ou un fait isolé sans conséquence majeure n'est pas une cause sérieuse.

B. La Cause Réelle et Sérieuse Fautive (Licenciement Disciplinaire)

Le licenciement peut être justifié par une faute du salarié. La gravité de la faute détermine les conséquences de la rupture (préavis, indemnités).

  • Faute Simple / Sérieuse : Comportement fautif justifiant le licenciement mais pas la rupture immédiate. Ouvre droit au préavis et à l'indemnité de licenciement. Ex: erreurs répétées malgré avertissements, négligences...
  • Faute Grave : Violation des obligations contractuelles d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant le préavis. Appréciée in concreto (contexte, ancienneté...). Prive le salarié du préavis et de l'indemnité de licenciement (mais pas des congés payés). Ex: vol, violences, insubordination caractérisée, abandon de poste, état d'ébriété sur poste dangereux...
  • Faute Lourde : Faute grave commise avec l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise. Très difficile à prouver. Mêmes conséquences que la faute grave + possibilité pour l'employeur de demander des dommages-intérêts au salarié.
  • Faute Légère : Ne constitue pas une cause réelle et sérieuse de licenciement. Peut justifier une sanction moindre (avertissement).
  • Faute issue de la Vie Personnelle : Exceptionnellement, un fait relevant de la vie personnelle peut justifier un licenciement s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (ex: violation obligation de loyauté, acte incompatible avec les fonctions) ou s'il crée un trouble objectif caractérisé au sein de l'entreprise.

C. La Cause Réelle et Sérieuse Non Fautive

Le licenciement peut être justifié par des motifs liés à l'aptitude ou à la situation du salarié, sans qu'il y ait faute de sa part.

  • Insuffisance Professionnelle : Incapacité objective et avérée du salarié à exécuter correctement son travail (incompétence, manque de résultats dus à son fait...). Doit reposer sur des faits précis et imputables au salarié (pas à une mauvaise formation ou à des conditions de travail dégradées). Se distingue de la faute (pas de mauvaise volonté).
  • Insuffisance de Résultats : Possible si les objectifs fixés étaient réalistes, que le salarié avait les moyens de les atteindre, et que l'insuffisance lui est imputable (pas due à la conjoncture ou à la faute de l'employeur).
  • Inaptitude Physique : Constatée par le médecin du travail. Le licenciement n'est possible que si le reclassement du salarié est impossible ou refusé (voir P3 Ch3).
  • Perte de Confiance / Mésentente : Ne constituent jamais en soi une CRS car subjectifs. Ils ne peuvent justifier un licenciement que s'ils reposent sur des faits objectifs imputables au salarié (ex: une mésentente grave perturbant le service du fait du comportement d'un salarié peut devenir une CRS).
  • Trouble Objectif au Fonctionnement de l'Entreprise : Principalement en cas d'absences prolongées ou répétées pour maladie non professionnelle, si elles perturbent gravement l'entreprise ET nécessitent le remplacement définitif du salarié (voir P3 Ch3).

Section 3: La Nullité du Licenciement pour Motif Personnel

Dans certaines hypothèses particulièrement graves, le licenciement n'est pas seulement injustifié (sans CRS) ou irrégulier, il est nul. La nullité est la sanction la plus lourde, car elle prive le licenciement de tout effet.

A. Les Cas de Nullités Textuelles

La loi prévoit expressément la nullité du licenciement dans plusieurs cas, souvent liés à la protection de droits fondamentaux ou de salariés vulnérables :

  • Licenciement discriminatoire (fondé sur un des critères de L. 1132-1).
  • Licenciement lié au harcèlement moral ou sexuel (victime ou témoin - L. 1152-2, L. 1153-2).
  • Licenciement pour exercice normal du droit de grève (L. 1132-2 lu a contrario).
  • Licenciement d'une salariée en état de grossesse, pendant son congé maternité et les semaines suivantes (sauf faute grave ou impossibilité de maintenir le contrat - L. 1225-4).
  • Licenciement d'un salarié victime d'accident du travail ou maladie professionnelle pendant la période de suspension (sauf faute grave ou impossibilité - L. 1226-9).
  • Licenciement d'un salarié protégé (représentant du personnel/syndical) sans autorisation de l'inspecteur du travail.
  • Licenciement suite à une action en justice du salarié visant l'égalité professionnelle H/F (L. 1144-3).
  • Licenciement suite à l'exercice du droit d'alerte ou de retrait pour danger grave et imminent.
  • Etc. (liste non exhaustive).

B. La Nullité pour Violation d'une Liberté Fondamentale

Même en l'absence de texte spécifique, la jurisprudence (depuis arrêt Clavaud, Cass. Soc. 1988) considère qu'un licenciement prononcé en violation d'une liberté fondamentale constitutionnellement garantie est également nul.

  • Exemples de Libertés Fondamentales Concernées : Liberté d'expression (hors abus), liberté d'opinion, liberté religieuse, liberté syndicale, droit d'agir en justice, protection de la vie privée...
  • Limite : Toutes les libertés ne sont pas jugées "fondamentales" à ce niveau. Ex: la liberté de se vêtir a été écartée par la Cour de cassation (arrêt dit du "Bermuda", 2003), un licenciement pour tenue vestimentaire non adaptée (si justifié et proportionné) ne sera pas nul, mais potentiellement sans CRS.
Point Avocat - Stratégie Nullité : Obtenir la nullité est plus avantageux pour le salarié que l'absence de CRS (réintégration possible, indemnisation non plafonnée...). Il faut donc systématiquement vérifier si le motif du licenciement ne masque pas la violation d'une liberté fondamentale ou un cas de nullité textuelle.

Section 4: Les Suites du Licenciement

Qu'il soit régulier ou non, justifié ou non, le licenciement entraîne des conséquences financières et administratives.

A. Les Sanctions Financières (Synthèse)

  • Licenciement Irrégulier (Procédure non respectée) mais Justifié (CRS) : Indemnité pour le salarié d'un montant maximum d'1 mois de salaire (L. 1235-2).
  • Licenciement Injustifié (Sans Cause Réelle et Sérieuse - SCRS) :
    • Proposition de réintégration par le juge (rarement acceptée).
    • À défaut, indemnité versée par l'employeur dont le montant est fixé par le juge dans les limites d'un plancher et d'un plafond ("Barème Macron"), variant selon l'ancienneté du salarié et la taille de l'entreprise (L. 1235-3).
    • L'indemnité pour irrégularité de procédure ne se cumule pas avec l'indemnité pour SCRS.
  • Licenciement Nul :
    • Réintégration : Si le salarié la demande, elle est de droit (l'employeur ne peut s'y opposer). Le salarié a droit au paiement des salaires perdus entre le licenciement et la réintégration (déduction faite des revenus de remplacement éventuels, sauf exceptions).
    • Indemnisation (si pas de réintégration) : Le salarié a droit aux indemnités de rupture (légale/conventionnelle, préavis, CP) ET à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice subi du fait de la nullité, qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire (L. 1235-3-1), quel que soit l'ancienneté ou la taille de l'entreprise. Le barème Macron ne s'applique pas.
  • Licenciement Vexatoire : Si le licenciement, même justifié, intervient dans des circonstances brutales ou humiliantes (abus du droit de rompre), le salarié peut obtenir des dommages et intérêts distincts pour réparer le préjudice moral spécifique subi. Cumulable avec les autres indemnités.
  • Remboursement Pôle Emploi (L. 1235-4): En cas de licenciement SCRS d'un salarié avec ≥ 2 ans d'ancienneté dans une entreprise ≥ 11 salariés, l'employeur peut être condamné à rembourser à Pôle Emploi jusqu'à 6 mois d'allocations chômage.

B. Les Droits Systématiques du Salarié Licencié

Sauf faute grave ou lourde, tout salarié licencié (même si le licenciement est justifié) a droit à certaines indemnités et documents.

  • Préavis (L. 1234-1) : Période entre la notification et la fin effective du contrat. Durée fixée par loi/convention/usage (souvent 1 à 3 mois selon ancienneté/statut). Peut être exécuté ou l'employeur peut en dispenser le salarié (en versant une indemnité compensatrice de préavis). Non dû si faute grave/lourde.
  • Indemnité Légale (ou Conventionnelle) de Licenciement (L. 1234-9) : Due si le salarié a au moins 8 mois d'ancienneté ininterrompue. Montant minimal légal = 1/4 de mois de salaire par année d'ancienneté (pour les 10 premières années) + 1/3 de mois par année au-delà. La convention collective peut prévoir un montant plus favorable. Non due si faute grave/lourde.
  • Indemnité Compensatrice de Congés Payés (L. 3141-28) : Correspond aux jours de congés acquis mais non pris à la date de rupture. Toujours due, même en cas de faute grave ou lourde.
  • Documents de Fin de Contrat (L. 1234-19, R. 1234-9) : L'employeur doit obligatoirement remettre au salarié :
    • Un certificat de travail (mentionnant dates entrée/sortie, nature emploi(s)).
    • Une attestation Pôle emploi (pour faire valoir droits chômage).
    • Un reçu pour solde de tout compte (détaille sommes versées ; devient libératoire pour l'employeur pour ces sommes s'il n'est pas dénoncé par le salarié dans les 6 mois - L. 1234-20).

C. La Transaction

Après la rupture du contrat (et seulement après), les parties peuvent conclure une transaction pour mettre fin à leur litige.

  • Définition (Art. 2044 Code Civil) : Contrat écrit par lequel les parties terminent une contestation née (ou préviennent une contestation à naître) par des concessions réciproques.
  • Objet : Éviter un procès prud'homal en réglant à l'amiable les conséquences financières du licenciement.
  • Conditions de Validité :
    • Intervenir après la notification du licenciement (une transaction signée avant ou en même temps est nulle).
    • Comporter des concessions réciproques et appréciables. Ex: l'employeur verse une indemnité transactionnelle (supérieure aux indemnités légales strictes) en échange de la renonciation du salarié à contester le licenciement. Une concession dérisoire d'une partie invalide la transaction.
  • Effet : Si valable, la transaction a autorité de la chose jugée entre les parties. Le salarié ne peut plus saisir le CPH pour contester les éléments couverts par la transaction.
Point Avocat - Transaction : La transaction est un outil utile pour clore un litige, mais doit être rédigée avec soin pour être valable (concessions claires et réelles). Pour le salarié, c'est renoncer à une potentielle décision judiciaire plus favorable. Pour l'employeur, c'est acheter la paix sociale. Le montant de l'indemnité transactionnelle est soumis à cotisations sociales au-delà d'un certain seuil.