Le licenciement pour motif économique Partie 4 - Chapitre 3

Contrairement au licenciement pour motif personnel, le licenciement pour motif économique n'est pas lié à la personne du salarié, mais repose sur des raisons économiques, technologiques ou structurelles affectant l'entreprise. Sa définition légale (L. 1233-3) est précise et sa mise en œuvre est soumise à des conditions de fond exigeantes, notamment une obligation de reclassement, ainsi qu'à des procédures complexes, particulièrement en cas de licenciements collectifs impliquant un Plan de Sauvegarde de l'Emploi (PSE). Ce chapitre détaille la cause réelle et sérieuse spécifique à ce type de licenciement (Section 1) et ses procédures distinctes (Section 2).

Section 1: La Cause Réelle et Sérieuse de Licenciement pour Motif Économique

Pour être justifié, un licenciement économique doit répondre à une définition légale stricte et l'employeur doit avoir satisfait à ses obligations préalables d'adaptation et de reclassement.

A. La Notion de Licenciement pour Motif Économique (L. 1233-3)

La loi définit ce licenciement par la combinaison de trois éléments cumulatifs :

  1. Un motif non inhérent à la personne du salarié ;
  2. Résultant d'une suppression ou transformation d'emploi, ou d'une modification d'un élément essentiel du contrat de travail refusée par le salarié ;
  3. Consécutives notamment à des difficultés économiques, des mutations technologiques, une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité, ou une cessation d'activité.

Il faut donc analyser la cause (l'élément originel) et sa conséquence sur l'emploi (l'élément matériel).

1. L'Élément Originel (La Cause Économique)

La loi et la jurisprudence reconnaissent principalement quatre causes :

  • Difficultés Économiques : Appréciées notamment par l'évolution significative d'indicateurs comme la baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, les pertes d'exploitation, la dégradation de la trésorerie... La loi Travail de 2016 a précisé la durée minimale de cette baisse selon la taille de l'entreprise (ex: 4 trimestres consécutifs pour ≥ 300 salariés).
    Périmètre d'appréciation : Niveau de l'entreprise ou, si elle appartient à un groupe, du secteur d'activité commun aux entreprises du groupe implantées sur le territoire national (depuis Ordonnances Macron).
  • Mutations Technologiques : Introduction de nouvelles technologies entraînant des conséquences sur l'emploi (besoin de compétences différentes...). Doit être mise en balance avec l'obligation d'adaptation de l'employeur.
  • Réorganisation nécessaire à la Sauvegarde de la Compétitivité : Permet d'anticiper des difficultés futures, même si l'entreprise n'est pas encore en difficulté. La réorganisation doit être indispensable pour préserver la position de l'entreprise face à la concurrence (menace avérée). Une réorganisation visant uniquement à améliorer les profits ("licenciement boursier") n'est pas valable.
    Périmètre d'appréciation : Secteur d'activité du groupe sur le territoire national.
  • Cessation (complète et définitive) d'Activité de l'Entreprise : Constitue un motif économique autonome, sauf si elle résulte d'une faute de l'employeur ou de sa légèreté blâmable.
Périmètre d'Appréciation : La limitation de l'appréciation des difficultés économiques ou de la nécessité de sauvegarder la compétitivité au seul territoire national pour les groupes internationaux est une évolution majeure (et controversée) des Ordonnances Macron, facilitant les licenciements en France même si le groupe est profitable ailleurs.

2. L'Élément Matériel (La Conséquence sur l'Emploi)

La cause économique doit entraîner l'une des conséquences suivantes :

  • Suppression d'Emploi : Le poste occupé par le salarié disparaît et n'est pas remplacé. Les tâches peuvent être réparties entre d'autres salariés, mais le poste lui-même doit être supprimé.
  • Transformation d'Emploi : L'emploi subsiste mais son contenu est modifié si profondément (ex: par mutations technologiques) que le salarié ne peut plus l'occuper sans une adaptation majeure, ou que cela équivaut à un nouvel emploi.
  • Modification d'un Élément Essentiel du Contrat Refusée par le Salarié : Lorsque l'employeur propose une modification du contrat (rémunération, durée...) pour un motif économique (selon procédure L. 1222-6), le refus du salarié peut constituer l'élément matériel justifiant son licenciement économique.

B. Les Obligations d'Adaptation et de Reclassement

Même si une cause économique entraînant une conséquence sur l'emploi est avérée, le licenciement ne sera justifié (doté d'une CRS) que si l'employeur a respecté préalablement deux obligations essentielles.

1. L'Obligation de Reclassement (L. 1233-4)

  • Principe : Le licenciement économique ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement du salarié sur un emploi disponible ne peut être opéré.
  • Nature : Obligation de moyens renforcée. L'employeur doit prouver avoir effectué une recherche sérieuse, active et personnalisée.
  • Quand ? La recherche doit être antérieure à la notification du licenciement.
  • Comment ? Proposer par écrit au salarié tous les postes disponibles, de même catégorie ou inférieure (avec maintien salaire si possible), compatibles avec ses compétences (après adaptation/formation si nécessaire). Depuis 2017, la diffusion d'une liste de postes disponibles peut suffire.
  • Périmètre de Recherche : Dans l'entreprise et, si elle appartient à un groupe, dans les autres entreprises du groupe situées sur le territoire national dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. (Périmètre restreint par réformes successives).
  • Sanction : Si l'employeur manque à son obligation de reclassement, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Point Avocat - Charge de la Preuve Reclassement : C'est à l'employeur de prouver qu'il a bien effectué toutes les recherches nécessaires et qu'aucun poste n'était disponible ou que le salarié a refusé les propositions conformes. Il faut vérifier la réalité et l'étendue des recherches (périmètre groupe, types de postes...).

2. L'Obligation d'Adaptation (L. 1233-4 & L. 6321-1)

  • Principe : L'employeur doit assurer l'adaptation des salariés à l'évolution de leurs emplois, de leurs fonctions et aux nouvelles technologies. Il doit proposer des formations qui participent au développement des compétences.
  • Lien avec Licenciement Éco : Un employeur peut difficilement invoquer une transformation d'emploi due à une mutation technologique ou une insuffisance professionnelle liée à l'évolution du poste s'il n'a pas préalablement proposé les formations nécessaires à l'adaptation du salarié.
  • Sanction : Le manquement à l'obligation d'adaptation peut priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Conclusion sur la CRS Économique : Pour être valable, le licenciement économique doit cumuler : une cause économique avérée + une conséquence matérielle sur l'emploi + le respect préalable des obligations d'adaptation et de reclassement.

Section 2: Les Procédures du Licenciement pour Motif Économique

Les procédures varient considérablement selon le nombre de salariés concernés sur une période de 30 jours.

A. Généralités sur les Procédures

1. Variabilité selon le Nombre de Licenciements

  • Licenciement Individuel : Procédure proche du licenciement personnel (entretien préalable spécifique, notification...) + information DREETS (L. 1233-11 s.).
  • "Petit" Licenciement Collectif (2 à 9 salariés / 30 jours) : Procédure plus complexe (L. 1233-8 s.). Consultation obligatoire du CSE (sur projet et modalités), délais spécifiques entre consultation et notification, information DREETS.
  • "Grand" Licenciement Collectif (≥ 10 salariés / 30 jours) : Procédure la plus lourde (L. 1233-21 s.). Deux réunions CSE espacées, délais stricts, information et rôle accru de la DREETS, et surtout, obligation d'établir un Plan de Sauvegarde de l'Emploi (PSE) si l'entreprise a au moins 50 salariés.
  • Règles anti-fractionnement : Pour éviter le découpage artificiel, les licenciements sur 3 mois sont pris en compte pour déterminer le seuil.

2. L'Ordre des Licenciements (L. 1233-5)

  • Obligation : En cas de licenciement collectif, l'employeur doit fixer des critères objectifs pour déterminer quels salariés seront licenciés au sein de chaque catégorie professionnelle concernée.
  • Critères : Fixés prioritairement par accord collectif. À défaut, l'employeur les définit après consultation du CSE, en tenant compte notamment des charges de famille, de l'ancienneté, des difficultés de réinsertion sociale (âge, handicap) et des qualités professionnelles. Il peut pondérer ces critères.
  • Périmètre : Toute l'entreprise, sauf accord prévoyant un périmètre plus restreint (zone d'emploi...).
  • Sanction Non-Respect : Licenciement irrégulier ouvrant droit à dommages-intérêts (pouvant réparer la perte injustifiée de l'emploi).

3. La Priorité de Réembauche (L. 1233-45)

  • Droit du Salarié : Tout salarié licencié économiquement bénéficie d'une priorité de réembauche pendant 1 an si l'employeur recrute sur un poste compatible avec sa qualification.
  • Conditions : Le salarié doit manifester sa volonté d'en bénéficier dans l'année suivant la rupture. L'employeur doit l'informer de ce droit dans la lettre de licenciement et lui proposer les postes disponibles compatibles.
  • Sanction Non-Respect : Indemnité pour le salarié au moins égale à 1 mois de salaire (si conditions L.1235-13 remplies).

4. Accompagnement des Salariés (CSP / Congé de Reclassement)

  • Contrat de Sécurisation Professionnelle (CSP) (L. 1233-65 s.) : Proposé obligatoirement dans les entreprises < 1000 salariés (ou en redressement/liquidation). Adhésion volontaire du salarié. Offre un accompagnement renforcé (formation, aide recherche emploi) et une allocation spécifique (ASP) plus élevée que l'ARE pendant 12 mois. Si le salarié adhère, le contrat est réputé rompu d'un commun accord (pas de préavis ni indemnité compensatrice, mais indemnité licenciement due).
  • Congé de Reclassement (L. 1233-71 s.) : Proposé obligatoirement dans les entreprises ≥ 1000 salariés (hors procédure collective). Durée de 4 à 12 mois, pendant le préavis (qui est rémunéré). Actions de formation, VAE, aide recherche emploi.
  • L'adhésion à l'un ou l'autre n'empêche pas le salarié de contester le motif économique du licenciement.

B. Le Plan de Sauvegarde de l'Emploi (PSE)

Pièce maîtresse des grands licenciements collectifs, le PSE est obligatoire pour les entreprises d'au moins 50 salariés qui projettent de licencier au moins 10 salariés sur 30 jours.

1. Modalités d'Adoption (L. 1233-24-1 s.)

  • Voie Privilégiée : Accord Collectif Majoritaire : Négocié avec les syndicats représentatifs. Doit être signé par des syndicats ayant recueilli +50% des voix aux élections. L'accord fixe le contenu du PSE, la procédure d'information-consultation du CSE, les critères d'ordre, le calendrier... Il est soumis à validation par la DREETS.
  • Voie Subsidiaire : Document Unilatéral : Si pas d'accord majoritaire possible. Élaboré par l'employeur après la dernière réunion de consultation du CSE. Il est soumis à homologation par la DREETS.

2. Contenu du PSE (L. 1233-61 s.)

  • Objectif Double : Éviter les licenciements ou en limiter le nombre ET faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement est inévitable.
  • Mesures Possibles (Liste non exhaustive L. 1233-62) :
    • Actions de reclassement interne (sur postes disponibles du groupe).
    • Actions favorisant le reclassement externe (cellule de reclassement, aide à la recherche d'emploi, outplacement...).
    • Actions de formation, VAE, reconversion.
    • Mesures de réduction/aménagement du temps de travail.
    • Aide à la création ou reprise d'entreprise.
    • Indemnités de départ supra-légales...
  • Le contenu doit être proportionné aux moyens de l'entreprise (et du groupe si applicable).

3. Contrôle Administratif (DREETS) (L. 1233-57-1 s.)

  • Rôle Clé : La DREETS contrôle la régularité de la procédure et la qualité du PSE.
  • Validation (si accord) : Vérifie la légalité de l'accord (conditions de majorité, présence contenu obligatoire PSE, régularité consultation CSE...). Délai : 15 jours.
  • Homologation (si document unilatéral) : Contrôle plus poussé. Vérifie la régularité procédure, la présence contenu PSE, la proportionnalité des mesures aux moyens de l'entreprise/groupe, le respect des obligations de reclassement/adaptation... Délai : 21 jours.
  • Silence vaut acceptation. Décision motivée (acceptation ou refus).

4. Sanctions et Contentieux (Réforme Loi 2013)

La loi de sécurisation de l'emploi de 2013 a transféré l'essentiel du contrôle du PSE au juge administratif.

  • Juge Administratif : Compétent pour contester la décision de validation/homologation de la DREETS, le contenu de l'accord/document, la régularité de la procédure.
  • Conseil de Prud'hommes : Reste compétent pour les litiges individuels : contestation du motif économique personnel (CRS), respect de l'ordre des licenciements, application individuelle des mesures du PSE, indemnisation si annulation décision administrative.
  • Sanction Principale (Insuffisance du PSE) : Si le juge administratif annule la décision de validation/homologation pour absence ou insuffisance du PSE, les licenciements prononcés sont nuls. Le salarié peut demander sa réintégration ou une indemnité minimale de 6 mois de salaire (L. 1235-11).
  • Autres Motifs d'Annulation : Si l'annulation est due à une autre irrégularité (ex: procédure consultation CSE), le licenciement n'est pas automatiquement nul. Le salarié peut demander réintégration (non garantie) ou une indemnité selon le barème Macron (L. 1235-16).
Point Avocat - Contentieux PSE complexe : Le partage des compétences entre juge administratif (contrôle du plan et de la procédure collective) et juge judiciaire (contrôle de la cause individuelle et des conséquences de l'annulation) rend le contentieux technique. Il faut maîtriser les deux voies de recours.

Pour conclure, si un licenciement économique est jugé sans cause réelle et sérieuse (ex: reclassement insuffisant, motif économique non prouvé), la sanction applicable est celle du barème Macron (L. 1235-3), comme pour le licenciement personnel injustifié. Les droits du salarié (préavis, indemnités légales/conventionnelles, congés payés, documents) sont identiques, sauf si l'adhésion au CSP entraîne la rupture immédiate sans préavis.