I. Propos Liminaire
Avant d'aborder l'organisation actuelle de la justice, il est essentiel de comprendre ses racines historiques et les diverses sources qui façonnent la procédure civile. La procédure, du latin "procedere" (aller en avant), est la marche à suivre pour soumettre un litige à un tribunal et obtenir un jugement ou une voie d'exécution. La procédure civile est un droit mixte, mêlant droit public (organisation judiciaire) et droit privé (droits et obligations des justiciables).
A. Brefs rappels historiques de l'organisation de la justice
Sous l'Ancien Régime, la justice était caractérisée par une multitude de juridictions et une division juridique du territoire. Les cahiers de doléances de 1789 critiquaient une justice inégale, coûteuse, longue et arbitraire.
La Révolution Française a instauré des changements radicaux. La loi des 16 et 24 août 1790 a posé quatre principes fondamentaux, toujours d'actualité : la séparation des pouvoirs et la création des ordres judiciaire et administratif ; l'égalité devant la justice ; la gratuité de la justice ; et le double degré de juridiction. Cette loi a aussi créé les justices de paix, les tribunaux de district et les tribunaux de commerce. Le Tribunal de cassation (devenu Cour de cassation en 1804) fut institué pour uniformiser l'interprétation de la loi.
Le Consulat et l'Empire ont finalisé cette organisation avec la création des conseils de préfecture, du Conseil d'État, des tribunaux d'appel, et des conseils de prud'hommes. La Vème République (Constitution du 4 octobre 1958) a marqué le début de nouvelles réformes. L'article 64 de la Constitution affirme que "Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire".
B. Les sources de la procédure civile
Le premier Code de procédure civile de 1806 fut remplacé par le Nouveau Code de Procédure Civile (NCPC) en 1975, devenu "Code de procédure civile" en 2007. La codification reste partielle, de nombreuses dispositions procédurales spécifiques se trouvant dans les codes substantiels (Code du travail, Code de commerce).
Sources internationales et européennes : Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), Convention de New York relative aux droits de l'enfant (1990), Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (2000), et surtout la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) du 4 novembre 1950 (art. 6 § 1). Le droit de l'UE, notamment via le traité d'Amsterdam (1997), influence aussi la procédure.
Sources classiques internes : La jurisprudence de la Cour de cassation, les principes généraux du droit, et la pratique des tribunaux.
Réformes Récentes Marqantes
- **Loi de modernisation de la justice du XXIe siècle (J21)** du 18 novembre 2016 : simplification, MARD, action de groupe.
- **Lois du 23 mars 2019 (programmation 2018-2022 et réforme pour la justice)** : fusion TGI/TI en Tribunaux Judiciaires (TJ), simplification de la saisine, promotion des MARD.
- **Loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire** : promotion de la médiation et de la digitalisation.
II. La Justice et les Autres Pouvoirs
L'organisation de la justice répond au principe de séparation des pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire), essentiel pour garantir son indépendance, comme le proclame l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.
A. Le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif
Le juge applique la loi édictée par le législateur et ne peut empiéter sur ce pouvoir. L'article 5 du Code civil interdit les arrêts de règlement. Le juge doit interpréter la loi et ne peut commettre de déni de justice (art. 4 C. civ.). Il ne contrôle pas directement la constitutionnalité des lois (rôle du Conseil constitutionnel), mais peut écarter une loi contraire à un traité international (art. 55 Constitution). La Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) permet un contrôle a posteriori.
En pratique, le législateur peut adopter des lois rétroactives ou interprétatives. Inversement, la jurisprudence peut inciter le législateur à intervenir.
B. Le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif
L'exécutif ne peut s'immiscer dans la fonction judiciaire, et réciproquement. Le juge ne peut prendre de décision politique. L'indépendance de la justice est garantie par des mécanismes organiques (statut des magistrats, inamovibilité des juges du siège - art. 64 Constitution, rôle du CSM) et fonctionnels (pas d'ordres de l'exécutif aux juges du siège, l'exécutif ne tranche pas les litiges).
III. Les Institutions Juridictionnelles Nationales
L'organisation juridictionnelle française actuelle, issue de la Révolution, repose sur la hiérarchisation et la dualité des ordres judiciaire et administratif.
Organisation Simplifiée de la Justice Française
Ordre Judiciaire
- Juge du droit (unification jurisprudence)
- Second degré (réexamen faits et droit)
- Tribunal Judiciaire (droit commun, incl. tribunal de proximité, JAF, JCP, JEX)
- Tribunal de Commerce
- Conseil de Prud'hommes
- Tribunal Paritaire des Baux Ruraux
- Instruction (Juge d'instruction, JLD)
- Jugement (Tribunal de Police, Tribunal Correctionnel, Cour d'Assises, Cours Criminelles)
Ordre Administratif
- Juge suprême administratif (cassation, appel, 1er et dernier ressort)
- Second degré
- Premier degré (droit commun du contentieux administratif)
Juridictions Hors Ordres
- Règle les conflits de compétence entre les deux ordres
- Contrôle de constitutionnalité des lois, contentieux électoral
A. L'Ordre Judiciaire
L'ordre judiciaire règle les litiges entre citoyens et sanctionne les infractions pénales. Il est hiérarchisé et comprend des juridictions civiles et pénales, avec la Cour de cassation à son sommet.
1. Le Premier Degré de Juridiction
a. Les juridictions civiles de première instance
Le **Tribunal Judiciaire (TJ)** est la juridiction civile de droit commun de première instance. Il est issu de la fusion des Tribunaux de Grande Instance (TGI) et des Tribunaux d'Instance (TI) depuis le 1er janvier 2020. Il a une compétence générale pour les litiges non attribués spécifiquement à une autre juridiction, et des compétences exclusives (état des personnes, famille, immobilier, etc.). Le TJ statue en dernier ressort pour les litiges dont le montant est inférieur ou égal à 5 000 euros. Les anciens TI sont devenus des **tribunaux de proximité** (chambres détachées du TJ) conservant une partie des compétences des ex-TI. Le TJ comprend des juges spécialisés tels que le Juge aux Affaires Familiales (JAF), le Juge des Enfants, le Juge des Contentieux de la Protection (JCP), et le Juge de l'Exécution (JEX).
Les **juridictions civiles d'exception** comprennent notamment : le Tribunal de commerce, le Conseil de prud'hommes, et le Tribunal paritaire des baux ruraux.
b. Les juridictions pénales de première instance
En matière pénale, on distingue les juridictions d'instruction (Juge d'instruction, Juge des libertés et de la détention - JLD) et les juridictions de jugement (Tribunal de police pour les contraventions, Tribunal correctionnel pour les délits, Cour d'assises et Cours criminelles départementales pour les crimes). Il existe aussi des juridictions pénales spécialisées pour les mineurs, les militaires ou les politiques.
2. La Juridiction d'Appel (Les Cours d'Appel)
Les cours d'appel réexaminent en fait et en droit les décisions des juridictions du premier degré de l'ordre judiciaire. Elles sont composées de magistrats professionnels et organisées en chambres spécialisées. L'appel a un effet dévolutif et, en principe, suspensif.
3. La Cour de Cassation
Juridiction suprême de l'ordre judiciaire, la Cour de cassation a pour mission d'unifier la jurisprudence en veillant à la correcte application de la loi par les juges du fond. Elle ne juge que le droit, pas les faits. Elle est organisée en chambres et peut siéger en formations spécifiques (chambre mixte, assemblée plénière). Elle connaît des pourvois contre les décisions rendues en dernier ressort et peut être saisie pour avis ou pour le filtrage des QPC.
B. L'Ordre Administratif
L'ordre administratif est compétent pour les litiges opposant un citoyen à l'État, une collectivité territoriale ou un organisme public. Il est également hiérarchisé :
- Tribunaux Administratifs (TA) : Juges de droit commun du contentieux administratif en première instance.
- Cours Administratives d'Appel (CAA) : Juges d'appel de droit commun des jugements des TA.
- Conseil d'État : Juridiction suprême de l'ordre administratif, il est juge de cassation des arrêts des CAA et juge en premier et dernier ressort pour certains litiges (ex: décrets). Il a aussi un rôle consultatif pour le gouvernement.
Il existe également de nombreuses juridictions administratives spécialisées (Cour des comptes, Cour nationale du droit d'asile, etc.).
C. Le Tribunal des Conflits et le Conseil Constitutionnel
- Tribunal des Conflits : Résout les conflits de compétence entre les deux ordres de juridiction (conflit positif ou négatif) et statue sur les contrariétés de jugement conduisant à un déni de justice. Sa composition est paritaire (membres du Conseil d'État et de la Cour de cassation).
- Conseil Constitutionnel : Organe de contrôle de la constitutionnalité des lois (a priori ou a posteriori via la QPC), il veille à la répartition des compétences entre la loi et le règlement et est juge électoral pour les élections nationales. Ses décisions s'imposent à toutes les autorités.
IV. Les Juridictions Internationales
Des juridictions internationales influencent le droit interne et la procédure civile.
- La Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) : Située à Luxembourg, elle examine la légalité des actes de l'UE et assure une interprétation et application uniformes du droit de l'Union. Elle est composée de la Cour de Justice et du Tribunal. Elle statue notamment sur les recours en manquement, en annulation, et à titre préjudiciel (lorsqu'une juridiction nationale l'interroge sur l'interprétation ou la validité du droit de l'UE).
- La Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) : Située à Strasbourg (Conseil de l'Europe), elle veille au respect de la Convention européenne des droits de l'homme par les États signataires. Elle peut être saisie par requête individuelle ou étatique après épuisement des voies de recours internes et dans un délai de 4 mois (anciennement 6 mois) suivant la dernière décision interne. Ses arrêts peuvent conduire à des modifications législatives dans les États condamnés.