Chapitre 1: Les Principes de Procédure
Le procès civil est encadré par un ensemble de principes fondamentaux qui garantissent son équité et son bon déroulement. Ces principes émanent de la nature du service public de la justice, de l'organisation juridictionnelle et des exigences européennes.
Section 1: Les Principes Généraux de Procédure
A. Les Principes Résultant du Service Public de la Justice
1. Les Lois du Service Public (dites "Lois de Rolland")
Ces principes, applicables à tous les services publics, sont essentiels au fonctionnement de la justice :
- Principe de continuité : Le service public de la justice doit fonctionner sans interruption majeure. L'article L.111-4 du Code de l'organisation judiciaire stipule que "la permanence et la continuité du service public de la justice demeurent toujours assurées". Cela limite, par exemple, le droit de grève dans la magistrature et assure un accès constant, notamment en cas d'urgence (référés).
- Principe d'adaptation (ou de mutabilité) : Le service public de la justice doit évoluer pour répondre aux besoins de la société et aux nouvelles réalités (ex: justice numérique, simplification des procédures). Les réformes successives, comme la loi J21 ou la loi de programmation 2018-2022, illustrent cette adaptation.
- Principe d'égalité et de neutralité : Tous les justiciables doivent être traités de manière égale, sans discrimination, et bénéficier des mêmes juges et procédures (articles 1er et 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789). Cela implique un droit au juge naturel et une absence de privilèges de juridiction. La neutralité impose une non-discrimination basée sur la race, les opinions, les convictions, etc.
2. Le Principe de Gratuité du Service Public de la Justice
Selon l'article L.111-2 du Code de l'organisation judiciaire, "le service public de la justice concourt à l'accès au droit et assure un égal accès à la justice. Sa gratuité est assurée selon les modalités fixées par la loi et le règlement".
Principe de gratuité : Les juges sont rémunérés par l'État, et la plupart des actes de justice sont gratuits depuis la loi du 30 décembre 1977. Des contributions temporaires ont pu exister (ex: contribution pour l'aide juridique, supprimée) et une taxe existe pour certains appels.
Coûts pour le justiciable : Bien que le service soit gratuit, un procès engendre des frais (honoraires d'auxiliaires de justice, dépens). La partie perdante est généralement condamnée aux dépens et peut être amenée à indemniser une partie des frais irrépétibles de l'autre partie (art. 700 du Code de procédure civile).
Aide juridictionnelle : Pour garantir un égal accès à la justice, l'aide juridictionnelle (loi du 10 juillet 1991) permet une prise en charge totale ou partielle par l'État des honoraires et frais de justice pour les justiciables aux ressources modestes. Ce dispositif a été réformé par les lois de finances 2020 et 2021 pour simplifier le système.
B. Les Principes Liés à l'Organisation de la Justice
- Principe de la collégialité des juridictions : Une affaire est jugée par plusieurs juges. Cela favorise une réflexion enrichie, protège les juges et assure au justiciable une décision mesurée. Bien que considérée comme une garantie de meilleure justice, la collégialité n'a pas valeur constitutionnelle et l'on assiste à une multiplication des cas de juge unique, souvent avec possibilité de renvoi à la formation collégiale.
- Principe du double degré de juridiction : Permet de contester une décision de première instance devant une juridiction supérieure (cour d'appel) pour un réexamen en fait et en droit. C'est une garantie d'équité, bien qu'il n'ait pas non plus valeur constitutionnelle absolue (des exceptions existent pour les litiges de faible montant, jugés en premier et dernier ressort).
C. Les Principes Dégagés par la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH)
L'article 6 § 1 de la CEDH est fondamental : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi..." Ces principes irriguent le droit processuel français.
- Droit à un procès équitable : Implique le droit d'accéder à un tribunal, d'obtenir une décision effective, d'être jugé par un "bon juge" (impartial, indépendant) et de bénéficier d'une "bonne procédure" (droits de la défense, caractère contradictoire et loyal). La publicité des débats est une composante de ce droit.
- Principe d'impartialité : Le juge doit être neutre, sans préjugés ni parti pris. Le Code de l'organisation judiciaire (art. L.111-5 et s.) et le Code de procédure civile (récusation, art. 339 et s. CPC) prévoient des mécanismes pour garantir cette impartialité.
- Principe de célérité (jugement dans un délai raisonnable) : Les affaires doivent être jugées sans retards excessifs (COJ, Art. L.111-3). La Cour européenne apprécie ce délai au cas par cas (complexité, comportement des parties et des autorités). Le non-respect peut constituer une faute lourde engageant la responsabilité de l'État (voir par ex. Cass. Civ. 1re, 20 février 2008, n° 06-20384).
Chapitre 2: Le Déroulement de l'Instance
L'instance civile suit un cheminement précis, de son introduction à la décision finale, impliquant des acteurs définis et respectant des échéances.
Section 1: Les Parties à l'Instance
Les Parties : Sont considérées comme parties les personnes qui ont pris l'initiative de l'action (le demandeur) ou contre lesquelles elle a été dirigée (le défendeur). En cas de pluralité de parties, leurs situations sont régies par les principes d'indépendance et de divisibilité (CPC. art. 323 et 324). La qualité de partie emporte des conséquences (charge de la preuve, autorité de la chose jugée, voies de recours).
Les Tiers : Personnes non initialement parties à l'instance. Certains peuvent y être associés par intervention volontaire ou forcée, acquérant alors la qualité de partie. D'autres, bien que tiers, peuvent se voir opposer la chose jugée s'ils sont considérés comme ayant été représentés (héritiers, créanciers chirographaires en procédure collective). Les tiers sont protégés par le principe de la relativité de la chose jugée (C. civ. Art. 1355, CPC. art. 122), mais peuvent exercer une tierce opposition si un jugement leur porte préjudice.
Section 2: La Procédure devant la Juridiction Civile
A. Les Différentes Étapes de la Procédure
Le procès débute généralement par une **assignation**, acte d'huissier par lequel le demandeur cite son adversaire à comparaître (CPC, art. 55). Elle doit contenir des mentions obligatoires à peine de nullité (CPC, art. 56), telles que l'indication de la juridiction, l'objet de la demande avec exposé des moyens en fait et en droit, les modalités de comparution et l'indication des pièces.
D'autres modes d'introduction existent : requête conjointe (CPC, art.56), requête en matière gracieuse (CPC. art.60), ou déclaration au greffe (CPC. art.58).
L'affaire est ensuite inscrite au **rôle** du tribunal. Lors de la première audience (audience du président), plusieurs orientations sont possibles :
- **Circuit court :** L'affaire est en état d'être jugée, les débats sont clos et le jugement rendu sur-le-champ ou mis en délibéré (CPC, Art.450).
- **Circuit intermédiaire :** Si un dernier échange de conclusions est nécessaire, un délai est imparti et une nouvelle audience fixée (CPC, art.761).
- **Circuit long :** L'affaire est confiée au **juge de la mise en état (JME)** qui l'instruit, fixe les délais, s'assure du respect du contradictoire (communication des pièces, CPC. art. 132 à 137), et peut ordonner la production de documents.
Des incidents peuvent survenir : jonction ou disjonction d'instances (CPC, an. 367), suspension (CPC. art. 377 et s) ou interruption (décès d'une partie, CPC. art. 370), extinction de l'instance (péremption, désistement, caducité, acquiescement, CPC. art 335 et s.).
La dématérialisation est encouragée, les actes de procédure pouvant être remis par voie électronique devant le Tribunal Judiciaire (Art. 796-1 CPC issu du décret du 6 mai 2017 n° 2017-892).
B. Les Délais de Procédure
Un délai est le temps imparti pour accomplir un acte. Ils peuvent être légaux ou judiciaires, exprimés en jours, mois, ou années.
Point de départ ("dies a quo") : Si en jours, le délai court à partir du lendemain. Si en mois ou années, il inclut les jours de quantième à quantième.
Point d'arrivée ("dies ad quem") : Si le terme est un week-end ou un jour férié, le délai est prorogé au premier jour ouvrable suivant (CPC, art 642).
Le non-respect d'un délai peut entraîner une **déchéance** ou une **forclusion** (irrecevabilité d'un recours tardif). Le juge relève d'office la forclusion pour les délais d'exercice des voies de recours (CPC, art 125).
Chapitre 3: Les Actes des Juges et les Effets des Décisions de Justice
Le jugement est l'acte juridictionnel par excellence qui tranche le litige. Il existe cependant diverses catégories de décisions judiciaires, chacune avec une forme et des effets spécifiques.
Section 1: Les Différentes Décisions de Justice
A. Les Actes Juridictionnels
- Jugements en premier et dernier ressort : La distinction dépend de la voie de recours ouverte. Un jugement en premier ressort est susceptible d'appel. Un jugement en premier et dernier ressort (souvent pour litiges de faible valeur, < 5000€) n'est susceptible que d'un pourvoi en cassation (contrôle de droit uniquement).
- Jugements contradictoires ou par défaut :
- **Contradictoire :** Lorsque toutes les parties ont comparu (elles-mêmes ou par mandataire) (CPC. art. 467 et s.).
- **Réputé contradictoire :** Si le défendeur, bien que régulièrement cité, est absent mais que la décision est susceptible d'appel ou si la citation a été délivrée à personne.
- **Par défaut :** Si la décision est en dernier ressort ET que la citation n'a pas été délivrée à personne au défendeur absent (CPC. art. 473). Ouvre la voie de recours de l'opposition.
- Jugements avant dire droit ou sur le fond :
- **Avant dire droit (ou avant faire droit) :** Ordonne une mesure provisoire ou d'instruction (ex: expertise). Ne tranche pas le fond, n'a pas l'autorité de la chose jugée et ne dessaisit pas le juge (CPC. art 482 et 483).
- **Sur le fond (ou définitif) :** Tranche le différend et les prétentions des parties. A autorité de la chose jugée et dessaisit le juge de la contestation.
B. Les Actes Non Juridictionnels
- Décisions gracieuses : Rendues en l'absence de litige, lorsque la loi exige un contrôle judiciaire pour une demande (ex: homologation d'un changement de régime matrimonial) (CPC, art. 25). Elles n'ont pas l'autorité de la chose jugée au sens contentieux.
- Mesures d'administration judiciaire : Concernent l'organisation interne du tribunal (fixation des audiences, répartition des dossiers, radiation). Elles n'ont pas l'autorité de la chose jugée et ne sont sujettes à aucun recours (CPC. art. 537).