Chapitre 1: La Légalité Pénale
Définition (Nullum crimen, nulla poena sine lege): Il n'y a pas d'infraction ni de peine sans un texte légal. Seuls sont punis les actes prévus et sanctionnés par la loi. L'article 111-3 du Code pénal dispose : « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement. Nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi, si l’infraction est un crime ou un délit, ou par le règlement, si l’infraction est une contravention. »
Exemple Concret: L'incrimination du "happy slapping" par la loi du 5 mars 2007 (art. 222-33-3 CP). Avant ce texte, les faits pouvaient être poursuivis sur d'autres fondements (atteinte à la vie privée, non-assistance à personne en danger), mais la création d'une infraction spécifique illustre la nécessité d'un texte précis pour une répression adéquate et la protection des libertés.
- Confondre le principe de légalité avec la simple existence d'une loi, sans considérer ses exigences de clarté et de précision.
- Penser que toute action jugée immorale ou socialement répréhensible constitue automatiquement une infraction pénale.
- Sous-estimer la portée du principe comme garantie fondamentale contre l'arbitraire.
Articulation avec d'autres concepts: Ce principe est la pierre angulaire du droit pénal. Il conditionne l'application de nombreux autres principes fondamentaux tels que la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, l'interprétation stricte de la loi pénale, et la classification des infractions.
Section 1: Les sources du principe de la légalité pénale
Les sources internes
- Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789:
- Art. 5: « Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint de faire ce qu’elle n’ordonne pas. »
- Art. 8: « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée. »
- Code pénal de 1804: Art. 4 (abrogé).
- Nouveau Code pénal (1994): Art. 111-3.
- Jurisprudence du Conseil Constitutionnel:
- CC, 19-20 janv. 1981: Reconnaissance de la valeur constitutionnelle du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce.
- CC, 10-11 oct. 1984: Une loi pénale nouvelle ne peut sanctionner des situations légalement acquises.
- CC, 18 janv. 1985: Exigence de définition des infractions en termes clairs et précis.
Les sources internationales
- Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CEDH): Art. 7 § 1: « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. »
- Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP): Art. 15 § 1 (sens similaire à la CEDH).
Section 2: Les sources de l’incrimination
L'élément légal de l'infraction est un texte normatif. La jurisprudence n'a pas, en principe, un rôle créateur en droit pénal.
Les lois proprement dites
Votées par le Parlement (Code pénal, lois non codifiées). Source principale.
Les traités et conventions internationales
Art. 55 de la Constitution: Primauté des traités sur les lois. Exemples: Convention de New York (1961) sur les stupéfiants, Traité de Lisbonne (art. 83 TFUE) permettant à l'UE de fixer des règles minimales, CEDH (art. 3 interdisant la torture, art. 4 le travail forcé).
Les actes du pouvoir exécutif
- Décisions présidentielles (art. 16 Constitution): Valeur législative en période de crise.
- Ordonnances (art. 38 Constitution): Actes administratifs soumis au Conseil d'État avant ratification législative. Celles de l'art. 92 (anc.) avaient force de loi.
- Décrets (art. 37 Constitution et art. 111-2 CP): Le règlement détermine les contraventions et fixe les peines applicables (max. 3000€ d'amende).
- Arrêtés (ministériels, préfectoraux, municipaux): Peuvent préciser l'application d'une loi mais ne peuvent édicter eux-mêmes des peines. Leur légalité peut être contrôlée par le juge répressif (exception d'illégalité).
Schéma: Hiérarchie simplifiée des sources de l'incrimination
Section 3: Le sens du principe de la légalité pénale
L'application du principe
- L'infraction doit être définie: Les éléments d'un crime/délit par la loi, d'une contravention par le règlement (Art. 111-3 CP). Ex: le meurtre (art. 221-1 CP) est défini, mais le simple mensonge ne l'est pas en tant qu'infraction générale.
- L'incrimination doit être précise: Le Conseil Constitutionnel l'exige (CC, 18 janv. 1985). La loi doit indiquer les conditions de la punissabilité. Ex: le faux témoignage (art. 434-13 CP) n'est répréhensible que s'il est fait sous serment, devant une juridiction ou un OPJ en commission rogatoire.
- La peine doit être prévue et déterminée: L'individu doit connaître la sanction encourue. L'individualisation judiciaire de la peine (circonstances atténuantes, sursis) s'exerce dans le cadre fixé par la loi (minima et maxima légaux).
Conséquence: L'interprétation stricte de la loi pénale (Art. 111-4 CP)
Définition: Le juge ne peut étendre le champ d'application d'un texte pénal au-delà de ce que le législateur a voulu. Il ne peut raisonner par analogie pour créer ou aggraver une responsabilité pénale (lois défavorables).
Exemple: Si une loi punit le vol de "véhicules terrestres à moteur", le juge ne peut l'étendre par analogie aux bicyclettes, même si l'intention du voleur est similaire. Il faudrait un texte visant spécifiquement les bicyclettes.
- Penser que l'interprétation stricte interdit toute interprétation. Le juge doit interpréter si le texte est obscur, mais sans l'étendre.
- Appliquer l'interprétation stricte aux lois favorables (causes de non-culpabilité, faits justificatifs), qui peuvent être interprétées plus largement.
Articulation: Cette règle est une garantie essentielle contre l'arbitraire du juge et un corollaire direct du principe de légalité. Elle assure la prévisibilité de la loi pénale.
Section 4: Le rayonnement de la loi pénale dans le temps (Art. 112-1 à 112-4 CP)
La loi pénale ne régit que l'avenir. Moneat lex priusquam feriat (Que la loi avertisse avant de frapper).
L'application dans le temps des lois de fond
Les lois de fond déterminent les actes punissables et les peines applicables.
a. Principe: la non-rétroactivité des lois pénales de fond plus sévères
Art. 112-1, al. 1 CP: « Sont seuls punissables les faits constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils ont été commis. »
Art. 112-1, al. 2 CP: « Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date. »
- Lois d'incrimination plus sévères: Celles créant une nouvelle infraction, élargissant une incrimination existante, créant/étendant une circonstance aggravante, ou limitant une cause d'exonération.
- Lois de pénalités plus sévères: Celles ajoutant une peine nouvelle, augmentant une peine existante.
- Conséquence: Survie de la loi ancienne plus douce. Les faits antérieurs non définitivement jugés restent régis par la loi ancienne si elle est plus favorable.
b. Exception: la rétroactivité des lois pénales de fond plus douces (rétroactivité in mitius)
Art. 112-1, al. 3 CP: La loi nouvelle est applicable aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée si elle est moins sévère.
- Lois plus douces: Celles supprimant une incrimination (ex: loi du 11 juillet 1975 sur l'adultère), une circonstance aggravante, restreignant les éléments constitutifs, créant une cause d'impunité, ou réduisant une peine.
- Valeur constitutionnelle: CC, 19-20 janv. 1981.
- Effet sur la chose jugée en cas de dépénalisation (Art. 112-4, al. 2 CP): « La peine cesse de recevoir exécution quand elle a été prononcée pour un fait qui, en vertu d’une loi postérieure au jugement, n’a plus le caractère d’une infraction pénale. »
L'application dans le temps des lois pénales de forme
Les lois de forme concernent la procédure, la compétence, l'organisation judiciaire, l'exécution et l'application des peines.
Principe: application immédiate des lois nouvelles de forme (Art. 112-2, al. 1 CP)
Elles s'appliquent aux situations en cours dès leur entrée en vigueur, sans remettre en cause les actes passés.
Limitations au principe:
- Non-remise en cause des actes régulièrement accomplis sous l'empire de la loi ancienne (Art. 112-2, 2° CP).
- Lois relatives aux voies de recours (Art. 112-2, 3° CP): Application immédiate, mais les recours exercés antérieurement selon les anciennes règles restent valables. Une loi supprimant une voie de recours n'affecte pas le droit de l'exercer si la décision attaquée a été rendue avant son entrée en vigueur.
- Lois relatives à la prescription de l'action publique ou de la peine (Art. 112-2, 4° CP):
- Si elles allongent la durée: sans effet sur une prescription acquise.
- Si elles abrègent la durée: application immédiate, mais le nouveau délai court à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale n'excède l'ancien délai.
Chronologie indicative de réformes sur la prescription
- Loi n° 2017-242 du 27 février 2017: Doublement des délais de prescription de droit commun pour les crimes (de 10 à 20 ans) et les délits (de 3 à 6 ans). Maintien à 1 an pour les contraventions.
Section 5: L’application de la loi pénale dans l’espace (Art. 113-1 à 113-12 CP)
Les infractions commises en France: Principe de territorialité (Art. 113-2 CP)
Définition: La loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République, quelle que soit la nationalité de l'auteur ou de la victime.
- Notion de territoire (Art. 113-1 CP): Espace terrestre (métropole, DROM, COM), espaces maritime et aérien liés. Les locaux d'une ambassade étrangère en France sont sur le territoire français (l'immunité diplomatique est une autre question).
- Infraction réputée commise sur le territoire (Art. 113-2, al. 2 CP): Dès lors qu'un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire (théorie de l'ubiquité). Concerne les infractions d'action, d'omission, continues, d'habitude.
- Exclusion du principe ne bis in idem international (Art. 113-9 CP a contrario): Si une partie des faits est commise en France, un jugement étranger n'empêche pas les poursuites en France.
Exemple: Une diffamation publiée sur un site internet hébergé à l'étranger mais accessible en France peut être considérée comme commise en France si des internautes français y ont eu accès.
Les infractions commises hors du territoire de la République
Application extraterritoriale de la loi française.
- Compétence personnelle active (Art. 113-6 CP):
- Pour tout crime commis par un Français hors du territoire.
- Pour les délits commis par un Français hors du territoire, si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis (condition de double incrimination). La poursuite ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public, précédée d'une plainte de la victime ou d'une dénonciation officielle de l'autorité du pays.
- Compétence personnelle passive (Art. 113-7 CP):
- Pour tout crime, ainsi que pour tout délit puni d'emprisonnement, commis par un Français ou par un étranger hors du territoire, lorsque la victime est de nationalité française au moment de l'infraction. Poursuite à la requête du ministère public.
- Compétence réelle (protection des intérêts supérieurs français - Art. 113-10 CP):
- Crimes et délits qualifiés d'atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation.
- Falsification et contrefaçon du sceau de l'État, de monnaie, de billets de banque.
- Tout crime et délit contre les agents ou les locaux diplomatiques ou consulaires français.
- Pas de condition de double incrimination ni de plainte préalable.
- Compétence fondée sur la nationalité de l'aéronef ou du navire (Art. 113-3 et 113-4 CP).
- Compétence universelle (prévue par des conventions internationales spécifiques, ex: art. 689 et s. CPP pour certains crimes graves).
- Oublier la condition de double incrimination pour les délits relevant de la personnalité active.
- Confondre les conditions de mise en œuvre des différentes compétences extraterritoriales (plainte, dénonciation, etc.).
- Mal comprendre l'articulation avec la règle ne bis in idem (Art. 113-9 CP: un jugement étranger peut faire obstacle sauf exceptions, notamment si la loi française est applicable en vertu des art. 113-5, 113-6-1, 113-8-1, 113-10, 113-12).